Suicide et accident sur le rail, ces conducteurs de train face au drame

Sylvain Malcorps
Michel Gueury, API pour la SNCB. (Photo: Sylvain Malcorps, août 2012)
Michel Gueury, API pour la SNCB. (Photo: Sylvain Malcorps, août 2012)

Suicides et tentatives de suicide, incidents et imprudences sur des passages à niveau: ces types d'accidents font partie des risques quotidiens auxquels sont confrontés les conducteurs de train. Bien malgré eux, ils se retrouvent aux premières loges de tristes spectacles, avec les conséquences que cela comprend.

Premières minutes

Un fort sentiment d'impuissance, c'est ce qui prédomine chez ces conducteurs.

Hélène Adam officie au sein du "Corporate Prevention Service" (CPS), un service externe à la SNCB actif dans la prévention aux risques psychosociaux. Psychologue et conseillère spécialisée en la matière, elle explique la procédure mise en place dans les minutes qui suivent l'accident afin d'épauler le conducteur impliqué.

"Il existe une procédure officielle que doit suivre le conducteur de train témoin du suicide d'une personne ou un autre type d'accident. C'est une ligne directrice que le conducteur et les accompagnateurs de train doivent adapter à chaque situation.

Quoiqu'il arrive, sa première mission est de gérer son train: il doit l'arrêter et protéger sa ligne. Il faut aussi qu'il s'assure de l'état de la ligne adjacente à la sienne, et en prévenir Infrabel. C'est primordial.

Ensuite, le téléphone de sa cabine sonnera: il sera contacté par un API, un "Assistant Post Incident", un personnage très important pour lui. Souvent, c'est un instructeur de conduite et ancien chauffeur dont l'unique mission sera de l'accompagner et de prendre soin de lui pendant les heures qui suivent l'accident."

 Le "peer support", le soutien par les pairs

Les premiers API de la SNCB ont été formés en 2002, en suivant le modèle anglo-saxon du "peer support", le soutien par ses pairs. A la suite d'évènements marquant auxquels peuvent être confrontés des professions comme pompier ou policier, l'envoie d'un psychologue à la rencontre de ces professionnels peut se révéler peu judicieux. Cette présence donne un côté grave, pathologique à la situation vécue, ce qu'il faut éviter au maximum.

A l'inverse, la présence rapide sur place d'un collègue formé au soutien psychologique peut se révéler bien plus bénéfique. Face à une personne de terrain, qui connaît les réalités du métier et les problèmes qui y sont liés, le professionnel peut s'exprimer d'égal à égal et se sentir compris. Hélène Adam:

"Pour le moment, plus de 160 API sont répartis à travers la Belgique et sont avertis de la présence d'un accident en fonction de l'endroit où ils habitent. De jour comme de nuit. Le premier coup de fil que l'API va passer au conducteur est essentiel: le conducteur doit se sentir directement pris en charge. Leur conversation ne tourne pas autour de questions techniques mais se focalise sur sa personne, son ressenti.

Une fois arrivé sur le lieu de l'accident, l'API va soutenir le conducteur dans toutes les étapes qui suivent: l'arrivée sur place du parquet, l'enregistrement de sa déposition ce genre de choses. Il va ensuite raccompagner le conducteur à son dépôt et veiller à ce qu'il rencontre son chef. C'est une autre étape très importante, c'est un des premiers facteurs diminuant significativement le stress post-traumatique.

En parlant de l'évènement avec son chef direct, le conducteur va se sentir reconnu et soutenu. L'absence de reconnaissance de par ses collègues ou de par la société peut avoir des conséquences graves sur la santé psychologique des individus. C'est ce qui s'est passé par exemple pour les soldats américains de retour de la guerre du Vietnam: ils n'ont pas été reconnus pour les sacrifices réalisés."

Le choc inattendu

C'est le caractère soudain, inattendu de l'accident qui est marquant et angoissant

Parmi tous ces API, en région liégeoise, on trouve Michel Gueury. Formé pour cette mission depuis 2005, il a été de nombreuses fois confronté à des cas de heurts de personnes ou de véhicules. Et a soutenu autant de conducteurs, même s'il est incapable d'en estimer le nombre.

"En tant qu'API, mes rôles sont multiples. D'abord faire sentir ma présence au conducteur, discuter, l'écouter, le rassurer, lui dire que ce qu'il ressent est normal. Chaque personne va réagir différemment: certains ne vont pas péter un mot, d'autres ne vont pas s'arrêter de parler. Il n'y a pas de règles.

Je vais ensuite l'assister dans toutes les démarches administratives, surtout lorsqu'il y a un décès. C'est pas un moment facile, surtout qu'on est juste après l'acte, on vous fait souffler dans un ballon, on vous pose plein de questions. Je veille à ce qu'il reste sur les lieux de l'accident et on lui interdit de reconduire un train le jour-même. Même s'il dit se sentir bien, il y a toujours des risques inattention.

Avant ces procédures, il n'y avait rien en place. C'est limite si le conducteur ne reprenait pas directement la route avec son train."

Michel Gueury, API pour la SNCB. (Photo: Sylvain Malcorps, août 2012)
Michel Gueury, API au sein de la SNCB. (Photo: Sylvain Malcorps, août 2012)

En 2001, conducteur à l'époque, lui aussi a été impliqué dans un heurt de personne :

"C'est vraiment le caractère soudain, inattendu de l'accident qui est marquant et angoissant. On est confronté à l'image de la mort, même s'il n'y a pas de victime. Déjà, rien qu'en heurtant un pigeon, ça fait un sacré boucan dans la cabine pilotage. Imaginez une personne, ou un véhicule.

Mais ce sont des évènements qui font partie du métier, on doit faire avec. Ce n'est pas quelque chose de tabou, on en parle entre nous pour relativiser l'acte et on sensibilise les nouveaux conducteurs à cela durant leur formation."

Au bout, le rail

Les conducteurs impliqués bénéficient automatiquement de trois jours de congé maladie. Pour la plupart, ce sera suffisant. Pour d'autres, ça prendra plus de temps et des débriefings approfondis seront réalisés au CPS, notamment en veillant à replacer l'accident dans un ordre chronologique et ainsi passer à autre chose.

Au moment où ils reprennent le rail, on ne les laisse pas seuls. Un collègue monte avec eux en cabine. Hélène Adam :

"On ne les lâche pas jusqu'à la reprise du travail, il faut leur redonner de la confiance. Il sont formés à devoir tout contrôler, et face à un évènements à ce point inattendu, ils se sentent impuissant. Ils doivent accepter ça, et ils repassent par l'endroit où s'est produit l'accident"

 En serrant la main de Michel Gueury pour prendre congé, il tient à souligner un point important:

"Il faut insister sur la dangerosité de circuler à proximité des rails: un train ne fait pratiquement pas de bruit, roule parfois à du 200km/h et la nuit, on n'a pas d'énormes phares comme les voitures. Tout le monde doit être beaucoup plus vigilent car ces accidents ont des conséquences graves et personne n'a rien à y gagner."

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