L’immigration en Europe? Des solution concrètes, mais taboues

Aurelie Moreau
José Manuel Barroso et Enrico Letta face aux cercueils des victimes du naufrage de Lampedusa ( Photo: Palazzo Chigi/ Octobre 2013/ Flickr-CC)
José Manuel Barroso et Enrico Letta face aux cercueils des victimes du naufrage de Lampedusa ( Photo: Palazzo Chigi/ Octobre 2013/ Flickr-CC)
José Manuel Barroso et Enrico Letta face aux cercueils des victimes du naufrage de Lampedusa ( Photo: Palazzo Chigi/ Octobre 2013/ Flickr-CC)
José Manuel Barroso et Enrico Letta face aux cercueils des victimes du naufrage de Lampedusa ( Photo: Palazzo Chigi/ Octobre 2013/ Flickr-CC)

Faute d'une politique d’immigration commune des 28 pays de l'Union (souverains dans cette matière), la complexité et la rigidité du système d’obtention des visas poussent les migrants économiques à se rabattre sur le droit d’asile: seules ces demandes sont traitées par les pays membres de l’UE et les lois qui les concernent ne sont pas applicables à d'autres types de migrants. Il s’agit-là d’une obligation de la convention de Schengen.

Les migrants économiques sont en revanche impitoyablement refoulés. Pour les associations, un assouplissement des procédures d’immigration dites classiques permettrait donc à ceux qui ont vraiment besoin d’une protection internationale d’en bénéficier. Mais la proposition n’a pas séduit l’Europe. Philippe Hensmans, directeur de la section francophone belge d'Amnesty International:

Dès le moment où l’immigration a été officiellement fermée en 1972-73 en Belgique, de nombreux migrants ont utilisé la demande d’asile ou le regroupement familial. Mais ça a conduit a créer des politiques d’examens du droit d’asile durcies et objectivement, ça pose problème depuis très longtemps. C'est pourquoi nous demandons toujours des examens individuels.

Revoir les règles européennes? Avec la montée des mouvements populistes et anti-européens, les gouvernements jugent ça impossible

Aujourd’hui, le règlement de Dublin II impose aux migrants d’introduire une demande dans leur pays d’arrivée dans la zone Schengen. C'est-à-dire, dans les portes d’entrée vers l’Europe que sont les pays du Sud: Malte, Italie, Espagne, Chypre, Bulgarie, Grèce. Il faut reconnaître que les pays frontaliers de l’UE sont seuls pour gérer l’afflux de réfugiés. Claire Rodier, juriste et spécialiste de ces questions:

Malte, un des plus petits pays au monde, n’est pas en mesure d’accueillir les migrants et demandeurs d’asile qui transitent par son sol. Seule une solution européenne est à même de leur assurer protection et moyens de subsistance. En exigeant de Malte qu’elle serve de rempart à ses partenaires européens en retenant les exilés qui échouent sur ses côtes, l’UE l’incite à opter pour la dissuasion à tous les niveaux.

La forteresse européenne

C’est la logique de "l’Europe forteresse", introduite dans les années 2000, qui a imposé aux demandeurs d’asile des routes sans cesse plus dangereuses pour atteindre l'Union. Notamment, celles utilisées pour le trafic de drogues.

Au début des années 2000, le chemin le plus rapide vers l’Europe passait par le Maroc et l’Espagne. Mais en 2004, l'agence Frontex est créée avec pour mission de gérer les frontières extérieures de l'Union. Elle verrouille le détroit de Gibraltar et s'en félicite: "La pression migratoire a dès lors diminué de 70%". Dans son ouvrage "Business Xénophobie", Claire Rodier tient à nuancer: "Sans préciser que le nombre de migrants traversant la Méditerranée, depuis la Libye vers Malte et le sud de l’Italie, avait doublé".

C’est ensuite vers les frontières terrestres, par la Grèce et la Turquie, que se sont reportés les franchissements irréguliers. Philippe Hensmans:

Mais il y aussi tous les chemins d’Asie centrale dont on ne parle pas et sur lesquels, aucune étude n’a encore été réalisée.

Dès lors, outre le coût humain (viols, rackets, violences, séquestrations, faim, soif, travaux forcés, exploitations sexuelles, morts), s'est posé avec acuité la question du rapport "coût-efficacité" de l’agence européenne Frontex. Claire Rodier:

 En 2008, la Commission présentait comme un succès le fait que, grâce à Frontex, 53.000 personnes aient été arrêtées ou se soient vues refuser l’entrée dans l’UE au cours de l’année précédente. Mais si, comme l’a fait un chercheur dans une étude réalisée pour le Parlement européen, on rapporte ce résultat, d’une part au nombre total d’entrées dans l’UE au titre de l’immigration pendant la même période (2 millions d’après les chiffres de l’OCDE), d’autre part au nombre de personnes auxquelles les Etats-membres ont refusé l’accès à leur territoire (800.000 selon les statistiques officielles de l’Union), et si l’on rappelle enfin que, pour bloquer 53.000 personnes, l’agence a dépensé 24.128.619 euros en frais opérationnels, on peut légitimement se demander si le jeu en vaut la chandelle.

La Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) soutient que les statistiques officielles de l’UE démontrent, qu’en dépit des supposées vagues déferlantes, une proportion très faible de migrants arrive par bateaux sur les côtes européennes. Soit 25.935 à Lampedusa et 1.530 à Malte en 2011, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). Soit moins de 4% du total des migrations vers l’Europe.

25 000 arrivants en Italie, ce n’est même pas un stade de foot! J’ai du mal à croire que les gouvernements modernes ne soient pas capables de gérer une population équivalente à celle d’un stade de football.

C'est ce qu'observe le directeur d’Amnesty Belgique, qui dénonce un discours xénophobe, basé sur la peur et qui crée des amalgames entre terroristes, migrants économiques, demandeurs d’asile et réfugiés. A titre d’exemple, le stade Roi Baudouin sur le plateau du Heysel à Bruxelles, peut en effet accueillir 50 024 supporters.

Selon la Commission, Frontex aurait toutefois permis de faire baisser la pression migratoire sur les frontières de l’UE et sauver 16.000 vies au cours des cinq dernières années. Une appréciation que diverses ONG contestent.

Hémicycle du Parlement européen à Strasbourg (Photo: GUE/NGL/ Mars 2010/ Flickr-CC)
Hémicycle du Parlement européen à Strasbourg (Photo: GUE/NGL/ Mars 2010/ Flickr-CC)

Solutions

Ce symbole du déséquilibre Nord-Sud est dénoncé par l’Europe méridionale depuis longtemps. Pour y remédier, elle réclame notamment un mécanisme de répartition du fardeau ainsi "qu’une une refonte des règlements communautaires". Demande à laquelle les pays du Nord opposent, depuis toujours, une fin de non recevoir. En Allemagne et en Suède notamment, on exclut toute remise en cause du règlement qui impose aux pays d’arrivée de traiter les demandes et d’assurer l’hébergement. Sur 28 Etats membres, 24 sont fermement opposés à une modification des règles. Et la montée en puissance des mouvements populistes et anti-européens rend impossible une telle décision par les gouvernements, reconnaît une source européenne. Autant dire, que le sujet est potentiellement explosif, notamment à l’approche du scrutin européen.

Au Parlement, d'autres notent que des efforts doivent être réalisés pour combattre les causes profondes qui poussent les migrants à embarquer dans des voyages aussi dangereux. Notamment à travers une approche globale, dont l’une des facettes est le développement. En 2012, l'UE (Etats membres et institutions confondus) a consacré, selon la Commission européenne, 55,2 milliards d'euros à l'aide publique au développement. Un chiffre en constante diminution depuis 2010, et qui représente 0,43% du revenu national brut (RNB) des Etats membres, loin de l'objectif de 0,7 % d'ici 2015.

Sur 28 Etats membres, 24 sont fermement opposés à une modification des règles

Les "accords de réadmission" sont également à mettre en question. Cette convention entre deux États vise à contraindre l'un d'entre eux d'accepter de recevoir des personnes venant d'être expulsées par l'autre État, qu'elles fassent - ou non - ses ressortissants. En contrepartie, les ressortissants de ces pays sont dispensés de visa (ou jouissent d’un accès facilité) pour voyager en Europe. Ces accords déjà à l’œuvre en Moldavie, en Ukraine, en Turquie, ont donné lieu à des milliers de retours expéditifs.

Car la situation actuelle renforcerait et inciterait l’externalisation du contrôle migratoire à des pays tiers, dont on connaît parfois l’absence totale de politique en la matière. C’est le cas de la Libye qui, soutenue financièrement par l’Union Européenne, se voit en contrepartie chargée de participer à la sécurisation des frontières européennes.

 

LEES OOK
Coline Leclercq / 12-07-2013

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