Cryo-Save et le commerce du sang de cordon: une enquête d'Apache.be primée

Tom Cochez , Clea Caulcutt
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Ce travail a retenu l'attention de l'association. Pourquoi? Pour la première fois en français sur Apache.be, nous vous proposons de découvrir les implications belges de cette enquête.

Une poupée emmaillotée
Une poupée emmaillotée

[Septembre 2012] A contre-courant des consensus scientifiques sur la question, Cryo-Save tente de convaincre les parents qu'il est bon et judicieux de faire congeler le sang du cordon de leur toute jeune progéniture auprès d'opérateurs privés. Pour "seulement" 2.395 euros, cette société promet aux parents de souscrire à une forme d'assurance-vie pour leur enfant: les cellules souches contenues dans ce sang pourraient à l'avenir jouer un rôle important dans le traitements de troubles tels que la maladie de Parkinson, Alzheimer ou le diabète.

Le principe d'une banque privée de sang de cordon est simple: en échange d'une somme - rondelette - d'argent, une entreprise s'engage à congeler et conserver le sang contenu dans le cordon ombilical d'un nouveau-né. L'argument avancé étant que les cellules souches présentes dans ce sang devraient à l'avenir permettre de sauver la vie de leur propriétaire. Même si, à ce jour, il n'existe aucune preuve scientifique jurant de l'efficacité de ce procédé, le site internet de l'entreprise tente d'appâter le client à l'aide d'arguments scientifiques et de témoignages douteux.

Aux côtés de ces banques privées, existent les banques publiques qui récoltent les mêmes échantillons, les analysent et les "classent". Elles peuvent permettre à des malades du sang d'entrevoir un espoir de guérison: on a pu ainsi assainir et renouveler le système de formation du sang de personnes leucémiques grâce aux cellules souches présentes dans un sang de cordon leur correspondant. Des milliers de personnes ont déjà été soignées grâce à ces techniques.

Marc Boogaerts, professeur émérite et fondateur de la banque publique de sang de cordon de la KU Leuven:

Le discours de Cryo-Save ne tient pas debout, mais personne n'en saura jamais rien parce que tout le matériel congelé ne sera jamais utilisé. On fait des promesses sans aucune base scientifique. Rien ne garantit que le sang de cordon puisse être conservé en bon état aussi longtemps.

Structure douteuse

On est face à deux entités qui prétendent se légitimer l'une l'autre et qui brassent des milliers d'euros par an

C'est en Belgique que Cryo-Save conserve les milliers d'échantillons dont elle a la charge: la société a fait installer un énorme congélateur à Niel, le "Cryo-Save Labs", sur le campus de l'Université d'Anvers. Grâce à la loi sur la transparence des administrations, nous avons demandé à l'Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaine Alimentaire (AFSCA) à pouvoir consulter le rapport d'activité de l'entreprise. Selon ces documents, Cryo-Save stocke pas moins de 200.000 échantillons de sang de cordon à travers le monde, en très grande majorité à Niel et dans une moindre mesure à Dubai et en Inde.

A ce jour, la Belgique reconnaît à Cryo-Save (via l'AFSCA) le statut de "structure intermédiaire". C'est-à-dire que sous certaines conditions, elle peut recevoir, conserver et expédier vers l'étranger des échantillons de sang de cordon. Afin d'acquérir ce statut, l'entreprise a dû prouver qu'elle collaborait avec une banque de sang officiellement reconnue comme telle. Mais dans les faits, ce n'est pas le cas.

Le Cryo-Save Labs de Niel collabore bien avec une banque de sang reconnue au Pays-Bas: le "Cryo-Save Group". Mais ce dernier n'est en réalité qu'un simple centre logistique du groupe, qui a obtenu sa reconnaissance en tant que banque de sang officielle en externalisant ses activités scientifiques vers le site du Cryo-Save Labs de Niel. Ces deux entités, prétendant se légitimer l'une l'autre dans leurs activités scientifiques, représentent les fondations d'une multinationale brassant des milliers d'euros par an. Et bien que les autorités belges et néerlandaises soient au courant, personne ne semble savoir quoi faire.

En réponse à une question parlementaire de Martine Taelman (Open-Vld) le 17 février 2010, la Ministre de la Santé Laurette Onkelinx (PS) avait apporté quelques éclaircissements à ce sujet :

Le matériel humain qui est prélevé en Belgique doit, après le prélèvement, être reçu par une banque de matériel corporel humain agréée en Belgique et conforme à la loi belge. Seule une banque agréée en Belgique et conforme à la loi belge peut introduire du matériel issu de pays hors Union européenne.

N'en demeure pas moins que l'AFSCA semble bien ennuyée par ce dossier:

Cryo-Save a bien reçu de notre part la reconnaissance de son statut de structure intermédiaire sur base du fait qu'elle collabore avec une banque de sang reconnue dans un autre pays de l'Union européenne. Si un pays de l'Union donne une reconnaissance officielle à une banque de sang, nous ne pouvons rien faire d'autre que d'accepter cette décision. Il existe cependant une exception pour le sang de cordon provenant de Belgique: la structure intermédiaire doit collaborer avec une banque de sang reconnue en Belgique. Cela vaut aussi pour les échantillons ne provenant pas d'un pays de l'Union.

Cryo-Save ne peut donc pas congeler des doses de sang de cordon venant de Belgique ou d'un pays hors de l'Union européenne. Mais en consultant le site de l'entreprise, on note qu'il est clairement mentionné que les échantillons de sang provenant de tous les pays (à l'exception de l'Allemagne, de l'Inde et de Dubai) sont stockés en Belgique. Que ces derniers soient belges ou viennent de pays hors Union comme la Suisse, la Serbie, l'Angola, le Pakistan ou la Norvège.

Force de la loi

Fin 2008, malgré la pression des lobbyistes, le gouvernement belge est parvenu a mettre sur pied une loi "relative à l'obtention et à l'utilisation de matériel corporel humain destiné à des applications médicales humaines ou à des fins de recherche scientifique". Ce texte, en écho à une directive européenne de mars 2004, régit et contrôle la reconnaissance des banques privées de sang de cordon et des "structures intermédiaires" comme l'est le congélateur géant de Niel.

En janvier 2013, un arrêté royal obligera les banques privées de sang de cordon à donner un accès public aux échantillons qu'elles conservent. Pour ce faire, elles devront analyser et caractériser tous leurs échantillons, opérations qu'elles ne réalisaient jamais auparavant puisque chaque dose de sang était étiquetée et destinée à leur unique propriétaire. Un travail désormais obligatoire et coûteux, qui pèsera lourd dans la comptabilité de Cryo-Save.

Sans oublier que ce même arrêté royal prévoit d'imposer un accès public à ces échantillons privés lorsque cela se révèle nécessaire. En d'autres termes, la congélation privée à des fins personnelles n'assurera plus aucune garantie en matière de disponibilité de l'échantillon de sang à l'avenir. L'Administrateur général de l'AFSCA, Xavier De Cuyper s'est d'ailleurs épanché sur le sujet dans une lettre explicative:

Courrier de Xavier De Cuypere (AFSCA)
Courrier de Xavier De Cuypere (AFSCA)

 

Questions en suspens

Parmi toute les questions qu'on peut légitimement se poser, reste celle de savoir pourquoi Cryo-Save Group a obtenu le statut de banque de sang de cordon reconnue par les Pays-Bas, alors qu'il n'est en réalité qu'un centre logistique? Si le document ci-dessous prouve bien cette reconnaissance, les raisons la motivant restent peu claires:

Document actant la reconnaissance du statut de Cryo-Save
Document actant la reconnaissance du statut de Cryo-Save

Si on attend toujours une réaction de l'Inspection néerlandaise de la Santé et Farmatec face à cette question, un rapport d'inspection nous permet d'en apprendre un peu plus à ce sujet: Cryo-Save Group a pu obtenir son statut de "banque d'organes" sur base de l'externalisation de ses activités scientifiques au "Cryo-Save Labs" de Niel.

On le voit bien: l'ensemble des activités de cette multinationale est basé sur une structure bancale, pleine de zones sombres. Sans oublier qu'elle outrepasse la législation en matière de congélation et de conservation des échantillons de sang de cordon provenant de la Belgique et de pays hors Union-Européenne.

 

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