Bruxelles, la fin de l'histoire et le nécessaire début d'autre chose

Anton Jäger
La Bourse, Bruxelles (Photo: MissTerje/ Septembre 2012/ Flickr-CC)
La Bourse, Bruxelles (Photo: MissTerje/ Septembre 2012/ Flickr-CC)

Entre deux majestueux caveaux familiaux, au cimetière d'Evere à Bruxelles, se trouve la tombe d'Alexandre Vladimir Kojève. Né en Russie en 1902, ce descendant de la noblesse russe reste un des plus énigmatiques philosophes du 20ème siècle. Titulaire d'une chaire à l'université de Paris-Sorbonne dans les années 1930, il s'est rendu célèbre grâce à ses conférences sur la philosophie du droit d'Hegel. Des travaux ayant d'ailleurs fortement contribué à faire redécouvrir l'auteur en France à la sortie de la Seconde Guerre mondiale; Bataille, Sartre et Lacan en tête.

Graf van Kojève in Evere (Foto Fanzago / Wikipedia)
La tombe d'Alexandre Kojève à Evere (Photo Fanzago / Wikimedia)

A la suite de cette guerre, Alexandre Kojève défend l'idée que l'histoire est arrivée à son terme et qu'après la préhistoire et l'histoire, l'humanité est entrée dans la post-histoire. Cette ère n'offrant que deux formes possibles de pratiques politiques: une américaine, l'autre japonaise. La première se résume facilement par une forme de consumérisme végétatif, une attitude apathique face à l'histoire commune. La seconde, la japonaise, comprend un simulacre de rituels anciens, un monde où "Les drapeaux s'agitent, mais où l'esprit est absent "comme le disait l'historien culturel néerlandais Johan Huizinga.

Vladimir Kojève, convaincu de la justesse de sa théorie, décide de passer à la pratique au début des années 1960: il devient un fonctionnaire du gouvernement français rattaché aux travaux sur l'Union européenne, encore à l'état embryonnaire. Il s'installe à Bruxelles et participe à l'élaboration des fondements de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) qui deviendra l'Union économique et monétaire. Il décèdera durant l'été révolutionnaire de 1968 à Bruxelles, le cimetière d'Evere pour dernière demeure.

Bruxellitude

Quelles influences pourrait encore avoir Alexandre Kojève sur Bruxelles en 2013, plus de quarante ans après sa disparition? Bien que dissimulée, elle semble pourtant toujours bien présente au travers de la question de la post-histoire. Début mars, le journal Le Soir publiait les résultats d'une enquête d'opinion avec pour titre "Les Bruxellois préfère l'indépendance". Audacieux, le journal conclut: "Une chose est sûre: l’identité Bruxelloise est un fait accompli."

Cette enquête montre que si la superstructure belge venait à s'effondrer, l'écrasante majorité des Bruxellois opteraient pour l'indépendance. Peu voient leur salut dans une fusion avec la Wallonie, et une très petite minorité accepterait de voir leur ville devenir une ville flamande. Mais le refus de ces scénarios signifie-t-il l'existence d'une identité bruxelloise à part entière? Ou s'agit-il plutôt d'une réaction identitaire antagoniste? Le temps est-il venu de parler d'une véritable "bruxellitude" contemporaine?

Noeud gordien

On persiste à ne pas considérer Bruxelles comme un élément à part entière dans la structure étatique du pays

Aujourd'hui encore persiste l'idée que résoudre la question de la Belgique passe par la résolution de le question, du "cas" bruxellois. Pourtant, l'affirmation de Bleri Lleshi selon laquelle "personne ne sait vraiment quoi faire de Bruxelles" reste le meilleur des remparts capable de protéger la ville.

En mars 2014, la N-VA tiendra un congrès au cours duquel le parti fera connaître sa propre vision de l'avenir de la capitale belge. De son côté, le PS s'apprête lui aussi à remonter ses manches. L'équipe politique à la tête de la ville, qualifiée de "Snuls" jusque dans les entrailles du Parti Socialiste, défend que la clef de l'avenir confédéral du pays doit se réaliser sans que la N-VA n'occupe un poste de pouvoir à la ville. A tout prix. De peur peut-être d'assister au dénouement du noeud gordien bruxellois une fois les nationalistes flamands sur le trône. [...]

Mais sans  être alarmiste, les défis que Bruxelles a à relever sont énormes. Le taux de chômage élevé des jeunes diminue peu, la politique en matière de logement reste peu efficace et les chiffres de la pauvreté semblent confirmer ce triste tableau: un bruxellois sur quatre serait sous le seuil de pauvreté. Sans compter les difficultés en termes d'échanges et de communication entre l'administration et les habitants. [...]

Et certains dossiers récents illustrent bien la manière dont se comportent les forces directrices sensées mobiliser la ville. Comme le cas de la rénovation de la place de la Bourse, pour laquel les plans sont prêts, mais où beaucoup de politiques se méfient et préfèrent éviter toute bagarre au niveau communal.

La Bourse, Bruxelles (Photo: MissTerje/ Septembre 2012/ Flickr-CC)
La Bourse, Bruxelles (Photo: MissTerje/ Septembre 2012/ Flickr-CC)

Complexité

Le défunt constitutionnaliste Robert Senelle l'avait bien souligné: on persiste à ne pas considérer Bruxelles comme un élément à part entière dans la structure étatique du pays. Les polémiques récentes autour de la construction d'un nouveau stade du Heysel viennent confirmer ses analyses

Le fait que le ministre bruxellois des finances, Guy Vanhengel, considère Grimbergen (en sol flamand) comme étant en territoire bruxellois, montre à nouveau avec consternation l'ampleur du problème. La "maison" Bruxelles n'est pas seulement sur le déclin, elle est aussi en permanence l'oeuvre d'un architecte fou, tordu. Rik Van Cauwelaert suggérait d'ailleurs récemment qu'il fallait "Tout [réformer] à Bruxelles. On est, pour le moment, comme face à un ravin où beaucoup d'argent disparaît."

Mais refermer ce ravin, c'est aussi ouvrir la porte à bien des dérives. Prenons le cas de la "sécurité sociale bruxelloise": la richesse créée à Bruxelles est grande partie générée par des non-Bruxellois, tous ces Wallons et Flamands qui viennent travailler dans la capitale. Comme le fait remarquer la professeur Bea Cantillon, une prochaine réforme de l'Etat devra nécessairement se confronter au cas de Bruxelles. Soit on laissera la possibilité aux Bruxellois de choisir entre une sécurité sociale flamande ou wallonne (ce qui ne présage rien de bon pour le confédéralisme, quel qu’en soit sa forme). Soit on lègue cette compétence aux communes, opération risquée au regard de la croissance d'un population précaire à Bruxelles.

Malheureusement, un tel cul-de-sac réflexif est monnaie courante lorsqu'on se penche sur les problématiques bruxelloises. Sans compter que désormais, les questions économique et institutionnelle s'accompagneront de celles liées à l'identité bruxelloise; pouvant mener à des débats encore plus complexes.

Les réflexions, en quatre volets, d'Anton Jäger au sujet de Bruxelles sont à retrouver via le lien ci-dessous:

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