Quand les déchets côtoient le patrimoine, petite balade sur un Ravel du Hainaut

Isabelle Masson-Loodts
Photo 019

Après avoir fait quelques recherches, et m'être aperçue que la plupart des RAVEL n'étaient pas encore entièrement praticables dans la région, j'ai opté pour un parcours proposé par l'asbl Chemins du Rail: la Balade de Colfontaine. Elle emprunte des tronçons de RAVEL et autres sentiers praticables à vélo pour constituer une boucle de 28 kilomètres passant notamment par le PASS de Frameries, le Bois de Colfontaine, la maison du Peuple de Pâturages, le terril de Marcasse, et le Grand-Hornu.

Un programme plein de promesses, dépaysant au vrai sens du terme dans une région qui a parfois du mal à se défaire des cicatrices de son passé

Le gouffre financier

Me voilà donc en route avec deux de mes fils. Après avoir laissé la voiture et tous préjugés à l'ancienne gare de Flénu-Produits, nous parcourons 3 bons kilomètres sur un Ravel impeccable et entouré de vestiges intéressants du temps des mines de charbon. Le RAVEL s'interrompt à hauteur du PASS, musée des sciences installé sur le site industriel classé de l'ancien charbonnage de Crachet. Il faut traverser le parking de l'institution pour rejoindre la suite du parcours. Nous sommes un beau dimanche de fin de printemps, en fin de matinée, et il n'y a pas plus de 3 voitures sur le parking.

Le site du PASS, bord gauche de l''image (Photo: Nicolas Loubet/ Juin 2010/ Flickr-CC)
Le site du PASS, bord gauche de l''image (Photo: Nicolas Loubet/ Juin 2010/ Flickr-CC)

Je me souviens qu'alors que le musée fêtait ses 10 ans en 2010, de grosses critiques avaient été faites concernant le gouffre financier que représentait cette infrastructure touristique décentrée et mal desservie par les transports publics. Alors que le projet - pour lequel les fonds européens de l'Objectif 1 Hainaut et la Région wallonne ont investi ensemble 23 millions d'euro - tablait sur 300 000 visiteurs par an, il n'en drainait alors qu'environ 80 000. Au vu du peu de véhicules présents sur place ce matin-là (peut-être ceux du personnel?), j'en conclus que les choses ont peu évolué...

Mon article sera traduit en néerlandais, pour la version flamande du magazine, et je me demande si les touristes du Nord du pays seront tentés de comparer la réussite du PASS avec celle du centre Technopolis de Malines, inauguré la même année que le PASS. Mais qui accueille aujourd'hui une moyenne de 300.000 visiteurs par an.

Les mégots de l'accueil

'Je commence alors à craindre que le parcours choisi ne fasse que renforcer tous les stéréotypes véhiculé à propos du Hainaut'

Nous voilà bientôt sur un chemin de campagne étonnant qui nous mène près de la Ferme du Temple, fondée au XIIe siècle. La bâtisse est imposante, le paysage est étonnamment bucolique, à deux pas d'un terril, et trois des rues de Frameries. Nous sommes heureux, au but de 11 kilomètres, de rejoindre le bois de Colfontaine, réputé comme un des plus beaux bois de Région Wallonne.

A l'orée de celui-ci, un petit établissement HORECA installé dans un bâtiment patrimonial, "la tour du lait Buré", nous donne envie de faire ici notre pause de midi. L'enchantement est de courte de durée. Les lieux auraient tout pour attirer des hordes de touristes, mais les enfants s'en sont rendus compte aussi vite que moi: il y a plus de mégots que de gravier au sol de la terrasse. Aucun accueil. La serveuse traine les pieds et vient nous servir avec tellement peu d'entrain que l'on semble déranger. Nous remontons en selle pour nous diriger vers le bois.

La maison du Peuple de Pâturages, sgraffites de Paul Cauchie et le calicot PS (Photo: Isabelle Masson-Loodts/ Printemps 2013)
La maison du Peuple de Pâturages (Photo: Isabelle Masson-Loodts/ 2013)

Les premières dizaines de mètres nous font craindre le pire: sur un banc, quelques clochards terminent des bouteilles d'alcool, et l'on distingue ça et là des canettes et bouteilles vides jetées dans les buissons. (A ce stade, le lecteur peut penser que l'auteur ajoute des détails au décor, et pourtant rien n'est inventé.) C'est alors que je commence à craindre que le parcours choisi ne fasse que renforcer tous les stéréotypes que l'on accuse souvent les journalistes de colporter à propos du Hainaut.

Le reproche nous est fréquemment adressé: notre profession ne mettrait cette région à la une que pour souligner le désastre économique auquel elle fait face, son taux de chômage et de criminalité, ses scandales politiques, mais ne parlerait jamais de ce qui s'y fait de bien. Et voilà qu'alors que je choisis délibérément un parcours caractère historique, patrimonial, culturel et naturel, les démons du Borinage semblent émerger à chaque détour de terril.

Contrastes

Heureusement, la traversée du bois de Colfontaine, tapissé d'anémones en cette saison, s'avère finalement magnifique. Je mets alors de côté mes craintes que les touristes flamands qui viendront ici suivre le parcours que je leur proposerai, s'en retournent chez eux avec la confirmation des stéréotypes qui circulent, pas seulement au Nord du Pays, à propos du Hainaut et de sa population. Les kilomètres qui suivront ne cesseront de me faire osciller entre l'émerveillement et la consternation.

Au pied d'un bel arbre isolé dans un ilot de campagne, on a une vue superbe sur le paysage borain. Mais cet emplacement précisément semble être fort fréquenté par un buveur de bière qui a cru bon de se réserver cette vue panoramique en y écrasant, sans doute chaque jour depuis quelques années, les canettes éclusées lors de sa méditation quotidienne. A Pâturages, on fait un crochet par la maison du Peuple, un édifice Art nouveau dont les sgraffites signés Paul Cauchie ont "malencontreusement" été sablés. La façade accueille un gigantesque calicot aux couleurs du parti socialiste. Et sur le seuil, une grosse marmite déborde de mégots.

Les portions de sentiers qui se succèdent ensuite nous bouleversent par leur saleté. On voit qu'ils sont fréquentés. Mais on pourrait y croire que les déchets y forment une nouvelle forme de balisage. Parfois, ils jonchent le terrain en couche tellement épaisse qu'on ne voit plus le sol. Dans l'ancienne tranchée de la ligne vicinale n°2 Mons-Wasmes, la montée de la "côte Saint-Roch", qui offre pourtant de belles vues, et un lieu de promenade original, on se croirait dans une décharge à ciel ouvert.

Nous croisons pourtant deux familles accompagnées de jeunes enfants, qui, par cet après-midi radieux, se promènent entre les sacs poubelle éventrés et débris de vitrages. Sans doute tout amateur de vélo se dit-il à ce stade de mon récit qu'il ira user ses pneus ailleurs, dans un environnement plus préservé. La fin du parcours néanmoins vaut le détour.

Sans vous faire oublier la ténacité de la misère qui règne encore dans certaines rues (on se croirait à certains endroits dans le décor de cinéma utilisé dans "Les ch'tis"), le passage par le terril du Marcasse nous rappelle l'histoire pesante de la région. Le MAC’s, un musée des Arts contemporains installé dans un site monumental, vaut le détour. Et à Quaregnon, l'ambiance est tellement chaleureuse près du terrain de pétanque où s'amusent quelques joueurs et leurs spectateurs, qu'elle évoque une fin d'après-midi sur le bord de la Méditerranée

Le bourgmestre

Bouleversée par cette succession de paradoxes, j'ai hésité à publier dans le magazine qui me l'avait commandé cet article à vocation touristique. Comment ne pas mentir aux visiteurs potentiels de la région, susciter leur curiosité et leur envie de découverte sans passer sous silence les plaies béantes de ce territoire? La rédaction de ce magazine lifestyle a accepté les bémols que j'ai intégrés dans mon texte. Mais le choix de photos ne rend évidemment pas compte de l'amère réalité. D'où l'idée de poursuivre sur Apache.be mon travail de journaliste.

Interpellé sur l'état de propreté des sentiers de sa commune, le bourgmestre de Colfontaine, Luciano D'Antonio, a accepté de répondre à une interview. Comment le politique se sent-il concerné par l'état de l'environnement de sa commune? Peut-on sortir de la misère lorsque l'on vit dans les déchets? Après avoir écouté mon récit et observé les photos, Luciano D'Antonio a d'abord évoqué le manque de moyens pour entretenir les 30 kilomètres de sentiers communaux:

De ce que je vois sur ces photos, il s'agit surtout de déchets qui ne sont pas acceptés dans les parcs à conteneurs, comme les Eternit, l'asbeste. Ou de sacs de déchets dont les gens veulent se débarrasser parce qu'ils ont été refusés parce que le tri sélectif n'avait pas été correctement effectué. On essaye de trouver des solutions avec l'Hygea, (intercommunale de gestion des déchets) pour que l'accès au parc à conteneurs soit plus facile. Depuis janvier 2013, 127 procès verbaux concernant des immondices ont été dressés par l'administration communale, sans compter ceux de la police de la zone boraine. Plus de 50% sont attribués à des personnes hors de l'entité de Colfontaine, qui prennent la commune pour une vraie poubelle. C'est une minorité qui tue les efforts de l'administration communale.

Luciano D’Antonio dans son bureau (Photo: Isabelle Masson-Loodts/ 2013)
Luciano D’Antonio dans son bureau (Photo: Isabelle Masson-Loodts/ 2013)

Et de rappeler que les ronds-points fleuris de la commune feraient pâlir de jalousie les communes du Sud de la France. Mais lorsqu'on lui demande si la population de Colfontaine est consciente de ces problèmes mais aussi de son potentiel économique et touristique, le maïeur admet:

Il faudra une génération pour que ça change. Depuis 3 ans, chaque établissement scolaire a des groupes de 'ratons laveurs'. On intervient dans ces écoles pour apprendre le tri. Cette génération va changer. Le problème est d'en finir avec un système: encore aujourd'hui, certaines personnes ne veulent pas évoluer malgré tous les incitants mis en place. On essaye de mettre des choses en place au travers du plan de cohésion sociale. On va jusqu'à mettre des tondeuses à disposition des gens. Mais comme je dis toujours, je peux amener le cheval jusqu'à l'abreuvoir mais pas l'obliger à boire. Le changement n'est pas aussi rapide qu'on le voudrait partout, mais la commune bouge. Nous avions 33% de population inactive il y a 5 ans, et plus que 26% maintenant. Et alors que la population n'a cessé d'augmenter (700 personnes de plus depuis 2007), nous n'avons que 3 personnes en plus qui bénéficient du revenu social d'intégration comparé à 1998. Cette image qui nous colle doit disparaître. C'est comme une cicatrice. On n'a peut être pas fait ce qu'il fallait faire dans les années 60. Ceux qui sont venus ici chercher des richesses n'ont pas été obligés de penser au futur.

En quittant le bureau de Luciano D'Antonio, il me reste néanmoins un brin de perplexité en tête. Le bourgmestre m'a donné des adresses de beaux quartiers et de jolis parcs à visiter, m'a encouragée aussi à revenir pour visiter le joyeux communal qu'est la maison de Van Gogh. Tout en omettant de raconter la polémique que suscite le projet de ce musée dans l'ancienne maison du peintre, dans le cadre de Mons 2015: en juin dernier, la famille Quenon, propriétaire de la bâtisse située à Wasmes, a été confrontée à son expropriation, alors qu'un bail emphytéotique avait été rédigé fin 2012. Les propriétaires soupçonnent la ville d'avoir tardé à signer ce bail pour faire en sorte que le délai permette d'en arriver à une expropriation pour cause d'utilité publique.

Espérons qu'il ne s'agisse pas là d'un nouveau futur PASS, qui passerait à côté de ses touristes malgré de gros investissements. "Mons 2015" est brandi comme un événement culturel qui tirera le Borinage vers le haut. Encore faudrait-il accepter, avant cela, de regarder le bas qui blesse. Nettoyer des sentiers coûte moins cher que de réaliser des musées. Mais c'est une politique qui ne donne de résultats qu'à long terme. Quoi qu'il en soit, visiteurs, si vous passez par là, n'hésitez pas à suivre ce parcours haut en couleurs. L'aventure est au bout du chemin, fut-il encombré de déchets!

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