Pascale, coupeuse de feu: "Je ne dis jamais que je vais guérir, mais j'essaye" (2)

Olivier Bailly
feu

Elle m’ouvre la porte, l’élégance de l’âge mûr, des cheveux d’un blanc éclatant. Vêtues de vêtements amples et colorés, on l’imagine plus facilement en sandales dans les Pyrénées que bronzant sur un yacht à Saint-Tropez. Et de fait, Pascale se promène dans les Pyrénées.

Je présente à Pascale un livre sur les guérisseurs normands. Elle le saisit immédiatement et s’exclame: "Cela manque un tel ouvrage en Belgique". Pascale accepterait sans difficultés d’inscrire son nom dans un livre pareil sur la Belgique. Par contre, la télévision, elle est moins chaude.

Cette discrétion des coupeurs de feu est fréquente. Dans le village, Pascale assure que 90% ne connaissent pas l’existence de son don inné. Pourquoi avoir accepté la rencontre?

D’abord parce qu’on avait eu ce premier contact avec votre femme. Ensuite parce que ce que nous faisons n’est pas gênant. C’est inexplicable, bizarre, mais ce n’est pas une honte.

Et pas de crainte de passer pour au mieux une originale, au pire une demi tarée?

Je suis déjà dans l’une de ces catégories pour plusieurs personnes (rires)! Soit. Certains ne peuvent pas admettre que quelque chose nous échappe. Ils sont hermétiques.

Pascale, son hobby: anti-douleur

Pour joindre Pascale, le bouche à oreille fait merveille. Elle peut avoir jusqu’à 15 appels par jour. Ce lundi en début d’après-midi, elle avait déjà reçu quatre sollicitations.

Ses spécialités maisons? Les brûlures évidemment, mais également les maux de dents, la fièvre lente, le zona, la phlébite, la roue de Sainte Catherine, et enfin les douleurs post opératoires.

Pour tous ces soins, il vous en coutera… nada.

Je ne demande rien. C’est la tradition. Un jour, j’ai envoyé une dame pour un soin que je ne pouvais pas assumer et j’ai appris qu’on lui avait réclamé 15 euros. J’ai appelé immédiatement l’autre guérisseuse, j’étais fâchée sur elle.

Pascale protège également la maison des gens de la méchanceté.

Là, je fais quand même payer mes kilomètres…(elle rit) Je fais appel à Saint-Benoit. Qui protège de la maladie, de la jalousie, du tonnerre. - Comment ? - Avec du sel béni. - Et le curé est au courant ? - Oui, il sait que ce n’est pas pour de la soupe ! Et cela ne lui pose pas de problème. Une fois la maison protégée, certaines personnes ne viennent plus jamais chez vous.

Je mesure la chance d’avoir réussi à passer la porte de la demeure de Pascale.

Dans la pratique

Je ne dis jamais 'je vais guérir', mais je vais faire ce qu’il faut, je peux essayer

Quand quelqu’un appelle Pascale, elle demande le prénom, l’âge, l’endroit de la blessure. "Je dois être attentive entre deux à cinq minutes. Je me concentre sur l’endroit touché. Si je ne peux pas le visualiser sur mon corps (le dos par exemple), je réquisitionne parfois mon mari (rires)!"

Et cette concentration s’accompagne-t-elle de paroles? Pascale hausse les épaules:

Il y a un petit livre avec toutes les prières mais bon, cela n’a pas de valeur. Il n’y a pas de comportement prédéterminé. Une amie guérisseuse n’en revient pas que je jure tout le temps, elle sait que je ne récite pas les prières, ça la gêne.

Contrairement à d’autres, Pascale n’a aucune difficulté à divulguer les paroles des coupeurs de feu. La formule, il est vrai, circule abondamment sur internet: Feu, perds ta douleur, comme Judas a perdu sa couleur quand il a trahi Jésus au jardin des Oliviers. "Bon, cela ne veut rien dire hein. Moi je les récite parce qu’on m’a dit de les réciter. Cela dit, cette formule prononcée par une personne qui ne sait pas soigner, ça ne marchera pas."

Parfois, Pascale demande aux gens d’être concernés, de réciter une neuvaine (prière pendant neuf jours). Faut-il alors être croyant pour que cela marche?

Non. Il faut juste demander un coup de pouce. Moi, je ne suis qu’une intermédiaire entre la personne et quelque chose là haut de plus fort que je ne connais pas. Je suis un canal. Je demande à Sainte-Apolline pour les dents par exemple. Et je ne dis jamais 'je vais guérir'. Je vais faire ce qu’il faut, je peux essayer.

Pascale, coupeuse de feu (Photo: Droits réservés)
Pascale, coupeuse de feu (Photo: Droits réservés)

Quand Pascale n’a pas le don ou que, plus simplement, elle connaît une guérisseuse qui l’a déjà, elle envoie le "patient" chez une consœur. Le milieu se construit par le partage plutôt que par la concurrence. Pour les cas lourds, Pascale n’hésite pas à faire appel d’autres coupeurs de feu pour soutenir son aide.

Ainsi, un boulanger dont le four avait explosé fut pris en main par cinq coupeuses. Il était au CHU de Liège mais la distance n’est pas un problème. Pascale a déjà apaisé des personnes à Anvers, à la Citadelle à Liège, Cavell, Bastogne, grands brûlés Charleroi. Elle fut même appelée des USA pour un cheval. Mais contrairement à Findus, elle ne fait pas dans l’équidé.

Ces soins à distance sont commodes car peu d’hôpitaux laisseraient rentrer les coupeurs de feu dans les chambres:

Ils font de temps en temps appel à nous mais en cachette. C’est assez difficile à accepter. J’ai eu un médecin qui ne parlait jamais de nos pratiques à ses patients mais qui envoyait sa femme chez un rebouteux! A partir de là, je ne suis plus d’accord. Ils pourraient nous signaler, dire que ce n’est pas explicable mais pas improbable comme soin. Suite à l’intervention de coupeurs de feu, des brûlés au troisième degré n’ont pas de cicatrice. Par ailleurs, s’il y a une plaie, on signale qu’il faut la soigner. Si une personne me contacte pour un mal de dents, je lui conseille toujours d’aller chez le dentiste. Une dame m’appelle régulièrement. Elle a les dents très abîmées. Je peux calmer la douleur, mais je ne remplace pas les soins.

Vers l'anthropologie, pour un début de compréhension

Olivier Schmitz est anthropologue. Il a défendu une thèse sur les coupeurs de feu en 2003. Parti sur la sorcellerie, il s’est vite rendu compte que les pairs belges d’Harry Potter seraient moins férus de publicité que les résidents de Poudlard. Il s’est alors rabattu sur les pratiques de guérisseurs, plus accessibles.

Olivier Schmitz: "Je préfère les termes de soigneurs. Ils soignent, calment la douleur. Ils ne prétendent pas guérir. Ce sont des thérapeutes au sens large, ils répondent à une demande. Ils remédient à un problème."

Et donc ça marche?

Y croire veut simplement dire qu’on croit que cela pourrait être efficace. Mais sans en être certain

"Ces pratiques sont efficaces mais tout dépend ce qu’on entend par efficacité. Elles aident le patient à recouvrer la santé. Il faut par ailleurs distinguer le 'signeur', qui n’a rien avoir avec un radiesthésiste. Les signeurs remédient à une situation d’urgence. Ils agissent surtout sur le psychosomatique, probablement par un cadre de suggestion, qui est un des ressorts thérapeutiques. Il y a également la dimension du don et du contre don.

Ils font don avec un secret, qui est le cœur du système de la conjuration. Le secret est mentionné, quelque chose marche et le sceptique devient convaincu, puis contribue à faire vivre ces systèmes. Ce sont ceux qui passent entre les mains des ces guérisseurs qui en font la publicité. C’est un fonctionnement normal des relations sociales. Il est facilement possible de faire disparaître une douleur par l’hypnose."

Y a-t-il des gens prédisposés à se faire soigner?

"Y croire veut simplement dire qu’on croit que cela pourrait être efficace, sans en être certain. On laisse une porte ouverte. La croyance est une prédisposition très variable, entre le scepticisme et à la conviction absolue. Et c’est sur les plus sceptiques que ces soins marchent le mieux.

Votre épouse ne croyait en rien de particulier. Il n’est pas besoin d’être croyante pour appeler un coupeur de feu. Le cadre est tout de suite très suggestif. C’est une dynamique psychologique que l’on rencontre ailleurs : le simple fait d’aller voir un médecin et on va mieux par exemple."

Existe-t-il de légères tensions avec le corps médical?

"Dans beaucoup d’hôpitaux, surtout ceux des grand brulés comme NOH, des médecins ont des adresses. Les signeurs sont les guérisseurs les mieux tolérés parce qu’il n’y a pas de concurrence sur le champs de la douleur et ils ne demandent rien."

La gratuité désamorce-t-elle beaucoup de méfiance?

"C’est assurément un grand avantage qui explique entre autre pourquoi les signeurs 'marchent'. Ils sont dans le registre du petit service et non du service thérapeutique. On peut les classer du même côté que les rapports de bon voisinage. Les signeurs sont à part dans les guérisseurs. Ils ne sont pas professionnels, ce sont les moins guérisseurs des guérisseurs. Plutôt des conjureurs. La plupart ont un secret pour un mal. Une formulette."

La pratique est avant tout ardennaise?

"Non. Il y a des signeurs partout. Personnellement, j’ai surtout travaillé dans le Brabant wallon et le Namurois. La plupart habitait entre ces deux provinces. J’étais alors étudiant à Louvain La Neuve et je devais rarement faire des kilomètres pour les rencontrer."

A force de les rencontrer, ils ne vous ont pas filé deux trois trucs?

"Si, mais je n’ai jamais exercé, jamais mis en pratique leur transmission. Je pense que je n’ai pas le don, pas la disposition mentale. Je suis peut-être trop intello. On ne doit pas tourner ces secrets en dérision. Je ne m’en moque pas mais je suis trop analytique."

Retrouvez la première partie du voyage du journaliste Olivier Bailly dans l'univers des coupeurs de feu en Belgique:

 

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