Comment un discret protocole risque de limiter la protection de mineurs étrangers en Belgique

Olivier Bailly
Horloge et ombres chinoises. (Photo:
Horloge et ombres chinoises. (Photo:

Son objectif: en centralisant toutes les démarches à l’Office des Etrangers, aller plus vite dans l’identification, protéger plus rapidement le mineur, et traquer les abus. Tous les acteurs valident ces desseins, mais les visions pour y parvenir divergent.

L’associatif voit d’un très mauvais oeil ce nouveau protocole. Si pas secret, à tout le moins très discret, ce texte fait-il l’impasse sur les droits des mineurs étrangers non accompagnés? Le sujet peut paraître complexe, essayons de l’aborder d’une manière pédagogique.

C'est quoi, un MENA?

Quand un jeune extra-européen arrive seul sur le territoire belge, il est MENA. Il a deux solutions: demander l’asile, ou ne pas demander l’asile. En 2011, 3258 MENA sont arrivés sur le sol belge, 1358 d’entre eux étaient demandeurs d’asile. En 2012, 2800 mineurs étrangers sont parvenus jusqu’à nous, 1008 ont demandé l’asile.

Dans les deux cas, le jeune est pris en charge par le service des tutelles (ST). Ce service qui relève du Ministère de la justice lui trouve un hébergement d’urgence, vérifie que le jeune est bien mineur, et tente de comprendre son projet d’exil. Un tuteur est désigné pour l’accompagner dans les différentes démarches. Dans les cas de non demandeurs d’asile, aucun contact n’est requis avec l’Office des Etrangers.

Ca c’était la théorie, valable jusqu’au lundi 28 janvier 2013. Qu’est-ce qui change à présent?

Les 5 griefs principaux à l’encontre de ce protocole

Porte-parole de la secrétaire d'Etat à l'Asile et la Migration Maggie De Block, Els Cleemput, a coordonné la communication concernant le protocole. Les trois communicateurs (dans ce cas-ci peu loquaces) de Fedasil, de la Justice et de l’Office des Etrangers nous ont renvoyé vers Maggie De Block. Il ne nous a donc pas été possible de varier les points de vue des différents acteurs concernés.

1. Le protocole crée un nouveau document: il réinvente la loi

Le protocole oblige tout MENA non demandeur d’asile à s’identifier auprès de l’OE. Cet enregistrement est une nouvelle condition pour bénéficier de l’aide. Le protocole ne précise pas ce qui sera fait des données récoltées, qui y aura accès et à quelles conditions. Si le jeune ne répond pas à deux convocations et s’il y a un doute sur son âge, il sera désigné majeur d’office.

Cette décision d’autorité modifierait radicalement le système de protection du jeune, exposé alors à la détention, au retour forcé. Alors que le doute doit toujours profiter au jeune.

"C’est tout simplement illégal" pour Cécile Ghymers, avocate spécialisée en droits des MENA:

Le service des tutelles ne peut pas se décharger de l’identification parce que le mineur ne s’est pas enregistré à l’OE! L’objectif de la loi est de protéger les mineurs et parce qu’il ne se présente pas deux fois, il deviendrait majeur? On passe d’une loi basée sur la protection des plus vulnérables à une politique de doute systématique.

Plusieurs associations contactées partagent la même analyse. Et par ailleurs, comment convoquer ce public très mobile? Comment s’assurer qu’il reçoit et comprend ces convocations? Selon Els Cleemput:

Cette mesure ne concerne que les jeunes qui sont dans les mains d’un service public, la police ou le service de tutelles par exemple. Cela concerne à la deuxième convocation le jeune qui ne veut pas rentrer dans la procédure d’accueil.

La porte-parole reconnaît cependant que cette interprétation du protocole n’est pas clairement mentionnée dans le texte. Car dans le protocole: "Le jeune dispose de deux possibilités pour se rendre à l’enregistrement concrétisées par la notification d’une convocation à se rendre à l’OE. A l’exception des jeunes pour lesquels il n’y a pas de doute sur l’âge, une décision de majorité est prise par le ST immédiatement après une deuxième convocation non respectée."

2. Le protocole conditionne l’accès aux droits fondamentaux

Le texte signale également que ce sont les MENA "préalablement enregistrés" qui seront accueillis à Fedasil. Mais pour Katja Fournier de Mineurs en exil:

Tous les MENA non demandeurs d’asile ont droit à un hébergement et le protocole conditionne ce droit! Non seulement on conditionne l'accueil à un enregistrement préalable, mais en plus ils bénéficieront de droit en fonction de la saturation du réseau Fedasil. Or, Fedasil a une obligation de résultats. Ils ne peuvent pas dire désolé, on n’a pas de place et tant pis pour vous.

Els Cleemput tient à préciser ce point:

Le Service des tutelles prend contact avec Fedasil et le MENA reçoit une place dans le réseau d’accueil Fedasil s’il n’est pas saturé. S’il est saturé, mais ce n’est pas le cas maintenant, le service de tutelles prend contact avec les communautés, avec leur réseau. Ils doivent prendre aussi leurs responsabilités. La convocation n’est pas une condition d’accueil. Si un jeune est signalé le week-end et que l’Office des étrangers ne peut pas l’enregistrer, Fedasil doit évidemment l’accueillir.

3. La rapidité méthodologique décrite est incompatible avec la protection des mineurs vulnérables

Le protocole insiste sur la rapidité d’identification. En cas de doute sur l’âge, la loi demande "immédiatement à un test médical". Mais le secteur associatif précise que l’arsenal d’identification de l’âge reprend également un entretien avec le jeune, l’analyse et authentification d’éventuels documents d’identité. Autant de mesures impossibles à réaliser en un temps record.

Par ailleurs, les associations remettent sérieusement en doute l’efficacité du test médical, un triple test osseux. L’Ordre des Médecins lui-même a nuancé cette vérité scientifique: "La technique de la détermination de l'âge osseux permet uniquement de déterminer l'âge du squelette; la concordance avec l'âge civil du sujet est une appréciation diagnostique."

Pour la porte-parole de Maggie De Block:

Accélérer l’identification était une demande du délégué général aux droits de l’enfant et des ONG. En même temps, nous continuons à donner les mêmes garanties au mineur. Il a toujours la possibilité, si le jeune le souhaite, d’avoir un entretien pour identification. Quand à ce triple test osseux, il est aussi appliqué par les Nations Unies dans les pays sans procédure d’asile. Et il y a eu récemment un arrêté de la cour d’appel de Liège qui a reconnu ce test comme le meilleur et le plus fiable.

La loi de 2002 stipule que "Lorsque le service des Tutelles ou les autorités compétentes en matière d'asile, d'accès au territoire, de séjour et d'éloignement ont des doutes concernant l'âge de l'intéressé, il est procédé immédiatement à un test médical par un médecin à la diligence dudit service […] . En cas de doute quant au résultat du test médical, l'âge le plus bas est pris en considération."

Horloge et ombres chinoises. (Photo:
Horloge et ombres chinoises. (Photo: photoacheun.tumblr.com)

4. La police reçoit de nouvelles missions assignées par les trois administrations signataires

Le protocole mentionne que les policiers accompagneront à la fiche de signalement une photo et des empreintes digitales.

A la lecture du document, le délégué général aux droits de l’enfant Bernard Devos s’interroge:

Est-il normal que trois administrations détaillent les mesures à prendre par la police lors de l’interception d’un MENA présumé?

Si l’interpellation se passe dans le cadre d’une arrestation administrative (aucune infraction commise), la police ne peut pas prendre les empreintes. Selon Katja Fournier:

"Il n’était jusqu’alors pas question d’empreintes pour les non demandeurs d’asile. Dans quelles conditions se feront ces mesures? A partir de quel âge, faudra-t-il un consentement informel? Ce n’est pas parce qu’on est MENA qu’on n’a plus de droit."

Pour Els Cleemput, il s’agit d’une simple description de ce la procédure d’interception de la police. Par ailleurs, selon les interprétations du texte, la police pourrait rejoindre le service de tutelles et l’Office des étrangers parmi les instances aptes à émettre un doute sur l’âge des MENA. Le test serait "réalisé directement sur place par la police auprès d’un hôpital ayant un accord avec le ST."

Quelle sera la procédure? Pour la porte-parole de Maggie De Block:

Cela veut dire, je pense, que s’il y a un doute sur l’âge, la police ou le ST doit amener le mineur à l’OE et ensuite à l’hôpital. Ne pas le placer dans un centre d’accueil d’où beaucoup s’en vont.

La police peut-elle agir sans l’accord du Service des tutelles? "Non, elle peut émettre un doute sur l’âge, mais elle le communique au ST". Ce dernier point ne se trouve pas dans le protocole. Entre l’interpellation du jeune, le fax de signalement et le test d’âge, aucune demande de réalisation de test n’est spécifiée.

5. L’Office des Etrangers prend la main sur l’identification des MENA non demandeurs d’asile

Katja Fournier, de la plate-forme Mineurs en exil:

Au moment de la loi sur la tutelle en 2002, c’était d’une importance fondamentale d’avoir un service indépendant des politiques migratoires, pour garantir l'intérêt supérieur de l’enfant. Avec le protocole, cette indépendance institutionnelle est mise à mal, notamment par le simple fait de centraliser l’identification à l’Office des Etrangers.

Els Cleemput :

La procédure d’identification pour le service des tutelles ne change pas. Il garde la main. Ce qui est nouveau, c’est l’enregistrement de ces MENA non demandeurs d’asile.

Quand on observe les textes, selon la loi 2002, le Service des Tutelles "Coordonne les contacts avec les autorités compétentes en matière d'asile, d'accès au territoire, de séjour et d'éloignement, avec les autorités compétentes en matière d'accueil et d'hébergement." Le ST prend la personne concernée en charge dès qu'il en a reçu le signalement.

Le nouveau protocole précise lui que "L’articulation des mesures ci-après permet au policier de ne plus prendre systématiquement contact téléphonique avec le service de tutelles. Toutefois, les documents doivent toujours être envoyés par fax […] . Le service de police a toujours la possibilité de contacter le ST afin de solliciter son soutien lorsqu’un cas spécifique se présente."

Le protocole consacre aussi que “L’enregistrement de l’ensemble des personnes se déclarant MENA non demandeurs d’asile signalés sur le territoire belge est centralisé à l’Office des Etrangers.”

Les problèmes

L’enjeu est de coupler le respect des droits des plus vulnérables tout en menant une politique rapide d’identification des MENA, notamment pour en prévenir les abus.

Ce protocole fait-il fi de la loi pour accélérer les objectifs du gouvernement? Pour sa part, la porte-parole de Maggie De Block maintient :

Le protocole ne change pas les missions du service de tutelles. Il répond au souci notamment de Monsieur Devos et des ONG d’avoir une phase d’identification plus rapide mais avec la même qualité. Il fallait pouvoir désigner un tuteur, obtenir une identité correcte, et identifier si le jeune était victime de traite des humains.

Par contre, pas de doute pour l’avocate Cécile Ghymers qui a déjà annoncé un recours:

Pour modifier une loi, il faut un débat parlementaire, à tout le moins un avis du conseil d’état. Ici, trois administrations modifieraient la loi en économisant ce débat et en bafouant les droits fondamentaux des mineurs ? On va introduire un recours contre ce protocole, il n’a pas de valeur juridique.

Même avis du côté associatif, auprès de Katja Fournier de Mineurs en exil:

Ce protocole viole la loi, notamment en imposant des conditions à l’accueil des MENA. Nous sommes favorable à une identification rapide mais de qualité. A partir du moment où d’une part, on enregistre les MENA par instances sans mandat de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant et d’autre part, qu’on accélère le processus avec des clauses d’exclusion sans base légale, on ne répond pas à nos attentes. De facto, on risque l’exclusion de jeunes réellement mineurs qui auront réellement besoin de protection et qui n’en auront pas.

 

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