Les 3 grands problèmes de communication de l'Europe avec ses citoyens

Sophie Petitjean
José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, sous une multitude de perches (Photo: Sophie Petitjean)
José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, sous une multitude de perches (Photo: Sophie Petitjean)
José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, sous une multitude de perches (Photo: Sophie Petitjean)
José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, sous une multitude de perches (Photo: Sophie Petitjean)

Malgré ces moyens colossaux, la désaffection des citoyens vis-à-vis de l’Europe ne cesse de grandir, comme en témoigne le succès des partis eurosceptiques dans de nombreux États membres.

"0,22€ par citoyen et par an"

Concrètement, chaque institution dispose d’un budget propre pour financer ses activités de communication. La Commission, qui jouit du droit d’initiative législative, consacre à elle seule 138,639 millions d’euros à ce volet. Cette enveloppe permet de financer la communication avec les médias, la communication locale, les outils d’analyses et les visites à la Commission. Pour la porte-parole de la vice-présidente de la Commission Viviane Reding, il s’agit d’un budget relativement modeste, dans la mesure où il représente à peine "0,22€ par citoyen et par an".

Le Parlement dépense quant à lui la somme annuelle de 90 millions d’euros, à laquelle vient s’ajouter les budgets des groupes politiques (soit 1,5 million par an pour le plus grand groupe politique du Parlement, à savoir les démocrates-chrétiens du PPE). Le Conseil dépense pour sa part 3,5 à 4 millions d’euros par an pour communiquer sur les réunions des ministres européens et des Chefs d’État et de gouvernement.

De la communication "institutionnelle"

Malgré une artillerie de moyens, l’écart entre l’Union européenne et ses citoyens ne cesse de se creuser

D’une manière générale, ces montants servent principalement à financer de communication dite "institutionnelle" à l’attention des professionnels. Le citoyen belge, qui souhaite obtenir une information précise sur l’Union Européenne, dispose pour sa part de plusieurs moyens: il peut contacter le service d’information "Europe direct" pour une question d’ordre général, le guichet Solvit s’il a un problème de mobilité transfrontalière ou "Your Europe" s’il souhaite se déplacer dans l’UE. Il peut également vérifier une information sur le site de hoax de la Commission ou contacter la représentation permanente de son pays, à savoir la Représentation permanente de la Commission en Belgique.

En dépit de cette véritable artillerie de moyens, l’écart entre l’Union européenne et ses citoyens ne cesse de se creuser. Selon un énième Eurobaromètre publiée en février, 59% des belges ne se sentent pas informés des droits que leur procure leur citoyenneté européenne. Le Chef de la Représentation permanente de la Commission en Belgique, Jimmy Jamar, reconnait sans difficulté qu’il existe un véritable "désamour" entre l’UE et ses citoyens:

Et la crise économique, financière, budgétaire et sociale n’a rien arrangé.

Trois grands problèmes

D’une manière générale, on observe trois grands problèmes:

1. D'abord, l’Union européenne, c’est compliqué. Il y a 27 États membres, 23 langues officiels, 3 langues de travail, etc. La Commission adopte sans arrêt des stratégies ou des communications (bien souvent sans valeur) aux noms plus jargonneux les unes que les autres. Et quand elle adopte des projets de lois, il faut bien souvent plusieurs années avant qu'ils s'appliquent à l’échelon national.

Jusqu’à cette ultime étape, il est très difficile de connaître l’impact exact d’un texte sur la législation d’un pays

2. Et puis, la communication en elle-même pose problème. Jimmy Jamar:

Pour moi, le problème, c’est qu’il existe une absence de prise de conscience sur les objectifs du projet européen. Par exemple, lors des discussions sur le budget européen, tous les Chefs d’État sont sortis de la réunion en annonçant ce qu’ils avaient gagné. La Commission européenne, de son côté, a également du mal à communiquer avec les citoyens car la communication est dispersée entre 30 directions générales qui essaient chacune de s’approprier les décisions.

Les nouveaux medias et les scandales qui ont secoué la Commission par le passé ont également donné lieu à un véritable verrouillage de la communication de la Commission: il est désormais impossible d’avoir un rendez-vous avec un expert sans autorisation préalable du service du porte-parole. Et lorsque les journalistes ont l’audace de poser des questions trop sensibles, les porte-paroles se contentent tout simplement de les éviter.

3. Enfin, il y a le fait que l’UE est de plus en plus à la botte des gouvernements. Yannick Laude - ancien journaliste spécialisé dans les affaires européennes, aujourd’hui au service des démocrates-libéraux (ADLE) au Parlement européen - considère en effet que l’UE souffre tout simplement d’un manque d’idée politique:

La Commission européenne est très forte pour publier des brochures et des communiqués de presse. Elle communique relativement bien sur des choses concrètes comme des cas de concurrence. Mais lorsqu’il s’agit de parler des vrais problèmes, il n’y a plus personne. Cette absence d’idée renationalise le débat et nuit à l’image du projet européen.

Quand les citoyens assurent la communication

Matthieu Lietaert est docteur en sciences politiques et enseignant en études européennes. Selon lui, il existe un réel intérêt pour la "chose européenne". Le problème, c’est que les institutions passent plus de temps à soigner et à contrôler leur image qu’à répondre à cette demande:

En février 2013, après avoir coréalisé un film sur la pratique obscure du lobbying à Bruxelles ("The Brussels Business"), il a lancé une plateforme interactive & participative sur les grands débats abordés au Parlement européen.

Concrètement, pendant 8 semaines, deux lobbyistes s’affrontent sur une thématique à l’agenda européen: ils ont 90 secondes pour présenter leur point de vue et ont ensuite la possibilité de poser des questions à leur adversaire. Les internautes sont ensuite invités à soutenir l’approche de leur choix, en prévision du vote qui aura lieu dans l’hémicycle du Parlement européen.

Cette plateforme est loin d’être la solution. D’autant que pour l’instant, il ne s’agit que d’une version test pour la télévision. Mais il faut oser donner la parole aux citoyens qui, au lieu de voter tous les 5 ans, devraient savoir toutes les semaines de quoi on discute à Bruxelles et exprimer leurs vues à ce propos.

Il exprime d’ailleurs la volonté de relancer ce projet lors des élections européennes de 2014.

Yacine Kouhen, lui, a pris le parti d’essayer de redonner un visage humain à la bulle européenne. Il est en effet le coréalisateur de la série web "Eurobubble", qui sera diffusée le 6 avril sur internet (en anglais).

Notre but initial n’était pas de rendre l’UE plus accessible. Au départ, on voulait simplement expliquer sur un blog le quotidien des fonctionnaires européens. On trouvait que c’était un milieu sociologiquement intéressant, quoique fermé. L’idée était donc de leur donner un visage humain. Aujourd’hui, c’est devenu une série. Et il se trouve que les gens (Les eurocrates et les technocrates qui ont participé à ce projet, Ndlr) pensent que ça pourrait aider à combler le fossé."  

De là à savoir si cette série réconciliera effectivement les citoyens avec l’Europe des Vingt-sept, Yacine ne se prononce pas : "Je n’en sais rien. Moi, ce que j’aimerais, c’est que la série soit vue en dehors de la bulle européenne. Après, c’est vraiment l’inconnue. Mais oui, ça serait super!"

 

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