Cinq années d'archives sur l'exportation d'armes belges, détruites illégalement

Damien Spleeters
Du papier broyé dans une machine. (Photo: cinefil_/ Mai 2007/ Flickr-CC)
Du papier broyé dans une machine. (Photo: cinefil_/ Mai 2007/ Flickr-CC)
Du papier broyé dans une machine. (Photo: cinefil_/ Mai 2007/ Flickr-CC)
Du papier broyé dans une machine. (Photo: cinefil_/ Mai 2007/ Flickr-CC)

1977. Lors d'un briefing de l'ambassadeur belge en Libye, un membre de la Direction Générale du Ministère des Affaires Etrangères belge déclarait: "Dans le domaine des armements, [...] la Libye est devenue le premier client" de la Belgique. Et ce, juste avant de rappeler qu'en août de la même année, un contrat de 5 à 6 milliards de francs belges venait d'être signé, avec un étalement sur deux ou trois ans.

Un autre compte-rendu diplomatique obtenu auprès du service des archives du Ministère des Affaires Etrangères précise pour l'époque que:

Près de la moitié du chiffre d'affaires de la FN Herstal et des Poudreries Réunies de Belgique (PRB) est réalisé par les achats libyens

"Détruits en dehors du cadre de la loi"

Tous les Ministères ont été touchés par la destruction illégale de documents, surtout dans les années 80 et 90

Selon la loi, les administrations ne peuvent détruire les documents qu'elles produisent sans l'autorisation préalable des Archives de l’État. Sans oublier que toutes les archives de plus de 30 ans qui lui ont été versées par un organisme public, deviennent en principe publiques comme la législation sur les archives en vigueur en Belgique le prévoit.

Si les Archives de l’État se séparent souvent des dossiers individuels pour des raisons pratiques, les registres synthétisant l'information sont conservés. Michaël Amara, assistant à la Section "Archives contemporaines" des Archives générales du Royaume:

Dans ce dossier, les autorisations de destruction n'ont jamais été données pour les registres. Ils ont donc été détruits en dehors du cadre de la loi. Mais à peu près tous les Ministères ont été touchés par le phénomène, essentiellement durant les années 80 et 90.

Cependant, il semble impossible d'évaluer l'ampleur de ces destructions illégales: elles ne sont constatées que lors des visites d'inspection effectuées par les archivistes de l’État.

Au Ministère belge de l'Économie – l'autorité compétente pour l'octroi de licences d'exportation d'armes jusqu'en 2003 – on explique que " [...] vraisemblablement, les pièces ont été perdues lors d'un des nombreux déménagements." Ces archives ont-elles été détruites? Rudy Liekens, conseiller au Service d’encadrement Budget et Contrôle de gestion du SPF:

Probablement que oui. Nous n'avons pas trouvé d'explication. Il est impossible de déterminer qui a détruit ces archives, ni qui a éventuellement donné l'ordre de destruction, ni à quel moment elles ont été détruites. Mais cela n'a certainement pas été intentionnel.

Aucune sanction

Michaël Amara :

Les sanctions ne sont pas reprises dans la Loi sur les Archives de 1955. En conséquence, les contraventions à cette loi ne peuvent être poursuivies que du chef d'infractions prévues par le droit commun, en l'occurrence, le code pénal.

Ce sont les articles 240 à 242 qui font alors référence. Ils punissent le détournement, la destruction ou la suppression frauduleuse et méchante, la soustraction ou la destruction d'actes produits ou conservés par une autorité administrative ou judiciaire. L'archiviste n'a pas connaissance d'un seul cas de destruction où des sanctions auraient été prises.

Mais depuis une dizaine d'années, des efforts sont réalisés et toutes les administrations fédérales ont en effet été progressivement dotées de tableaux de tri qui indiquent clairement ce qui doit être conservé ou pas. Ces tableaux sont consultables sur le site des Archives de l’État. Michaël Amara:

La lutte contre ces pratiques s'est intensifiée. On doit encore constater des destructions intempestives ponctuelles lors de déménagements, mais leur nombre est en forte baisse La perte de certaines archives est évidemment dommageable pour tous les acteurs concernés. Un travail de sensibilisation permanent est entrepris auprès des administrations pour leur faire prendre conscience de leur responsabilité et de leur devoir en terme de préservation de la mémoire collective et des enjeux démocratiques qui en découlent. 

Un trou dans l'Histoire de la Belgique 

La Belgique a été et reste un exportateur non négligeable d'armes légères. Et ce type d'armes dégrade sur le long terme l'équilibre d'un pays et d'une région

Alors qu'il est fort probable qu'une partie de l'arsenal libyen se soit déversé dans la région sahélienne – notamment vers le Mali – pendant et après le conflit de 2011, il est important d'en savoir plus sur les armes belges vendues au colonel Kadhafi durant ses 42 ans de règne. Produites il y a des dizaines d'années, elles prolifèrent et alimentent aujourd'hui les conflits contemporains, menaçant la stabilité de régions déjà menacées.

Pour des raisons légitimes, l'attention se porte souvent aux armes de plus gros calibres ou dont l'utilisation par des groupes terroristes pourrait provoquer des pertes humaines et des dégâts matériels importants. La menace que représente la présence d'armes légères et de petits calibres est vue comme secondaire. Pourtant, des études montrent que ce type d'armes dégrade sur le long terme l'équilibre d'un pays et d'une région. Et que le nombre de victimes qu'elles occasionnent se révèle bien plus important.

La Belgique a été et reste un exportateur non négligeable d'armes légères. Il est donc important de poursuivre des recherches sur le nombre et le type d'armes exportées. Mais les informations sur les exportation d'armes effectivement réalisées ont toujours manqué: elles ne sont pas disponibles, même aujourd'hui. Et l'on doit se rabattre sur les licences d'exportation d'armes, qui ne reflètent qu'une partie de la réalité.

Dans ce contexte, si le chercheur se heurte souvent au manque de transparence symptomatique du secteur de l'armement, il lui faut en plus prendre en compte la négligence des administrations. Avec un résultat que l'on connaît: cinq années d'exportation d'armes belges resteront, probablement à jamais, couvertes d'un voile impénétrable.

Des boîtes contenant des documents aux Archives de l'Etat, Bruxelles. (Photo: Damien Spleeters, 2012)
Des boîtes contenant des documents aux Archives de l'Etat, Bruxelles. (Photo: Damien Spleeters, 2012)
Dit onderzoeksartikel kwam tot stand met de steun van het Fonds Pascal Decroos voor Bijzondere Journalistiek.
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