Derrière les projecteurs de la RTBF, une entreprise publique en proie à ses démons (2)

Pierre Jassogne
La tour Reyers illuminée la nuit, Bruxelles. (Photo: Damien Van Achter/ Février 2007/ Damien Van Achter)
La tour Reyers illuminée la nuit, Bruxelles. (Photo: Damien Van Achter/ Février 2007/ Damien Van Achter)
La tour Reyers illuminée la nuit, Bruxelles. (Photo: Damien Van Achter/ Février 2007/ Damien Van Achter)
La tour Reyers illuminée la nuit, Bruxelles. (Photo: Damien Van Achter/ Février 2007/ Damien Van Achter)

Nous avons essayé d'en savoir plus en cherchant à interroger ce prétendu pigiste. Sans succès. Nous avons alors décidé d'interroger plusieurs journalistes de la RTBF. La plupart nous ont répondu de manière anonyme quant à leurs conditions de travail. Une chose est certaine: chaque témoignage s'ajoute au profond malaise qu'avait dejà suscité la bouteille à la mer.

Combler les trous

Je doute que ce soit un pigiste qui ait écrit cela, car il y aurait encore des choses plus crasses à raconter. Rien n'est faux, mais s'il n'y avait que des travailleurs démotivés... Ce qu'on vit, c'est d'une violence inouïe. Il n'y a pas de gestion des ressources humaines à la RTBF. On ne m'a jamais demandé ce que je voulais faire, on m'a placé comme un pion là où on le voulait, car il faut combler les trous.

On essaie d'arriver à la RTBF par amour, mais on n'y reste pas par choix. On travaille continuellement dans la peur. Tu n'oses rien dire, rien faire parce que tu sais que tu es remplaçable. On te dit qu'il n'y a pas pas de plan social, mais on va puiser dans les actifs, on ne remplace pas les techniciens. Quand une société puise dans ses actifs, c'est qu'il y a un problème.

Et comme on manque tellement d'argent, on est beaucoup plus perméable aux pressions financières. C'est la situation de la RTBF actuellement. Ils tuent notre feu sacré, ils le tuent."

Pas de plan social, donc. En apparence, du moins. Car comme l'a déclaré pourtant Jean-Paul Philippot au journal L'Avenir : "En 2017, il y aura clairement moins d’effectifs à la RTBF. Pas de licenciements. Mais des départs anticipés volontaires, notamment. Et l’entreprise devra être plus efficace avec moins d’effectifs. [...] Il ne faut pas nous demander d’être promoteur d’emplois quand on nous sous-finance. L’entreprise recrutera encore mais moins que le nombre de départs."

Un journaliste, 400 contrats en trois ans

Dès qu'un journaliste accumule trop de CDD, il devient intérimaire afin d'éviter à la RTBF d'avoir à lui donner un CDI

Au sein de la rédaction, le malaise semble plus profond. Outre l'augmentation du travail, la plupart des journalistes, pigistes ou non, dénoncent « l'institutionnalisation de la précarité » au sein du service public en offrant des contrats précaires afin de disposer d'une main d’œuvre flexible avec des journalistes qui n'ont aucune assurance d'avoir du boulot le lendemain.

Un système bien établi pour la quarantaine de pigistes actuellement employés au sein de la RTBF.

"On a précarisé l'emploi des jeunes. Les pigistes sont tellement habitués de faire ce qu'on leur dit de faire, ils sont tellement mis sous pression qu'ils ne vont pas remettre les choix des sujets de la rédaction ou les décisions de leur hiérarchie."

L'une des meilleures preuves de cette précarisation des journalistes? Elle se trouve dans les couloirs de la RTBF, au dixième étage du Boulevard Reyers. La société d'intérim Randstad y a son propre bureau. Dès qu'un journaliste accumule trop de CDD, il devient intérimaire afin d'éviter à la RTBF d'avoir à lui donner un CDI, comme la loi le prévoit normalement.

"Même quand on travaille depuis des années à la RTBF, on continue d'accumuler les contrats à la pige journalière avec un C4 tous les jours. Si je voulais attaquer la RTBF au tribunal du travail, j'arrive avec un container de contrats: j'en ai 400 depuis que je suis entré en 2009. C'est absolument dantesque.

Randstad a un bureau à l'intérieur de la RTBF. On y va dès qu'on a dépassé un certain nombre de contrats journaliers. On avance entre les contrats journaliers et les contrats d'intérim de Randstad qui fait son petit business. C'est une forme de sous-traitance au sein même de la RTBF."

Dernièrement, en France, un ancien technicien de France 3 qui avait signé plus de 320 CDD pendant dix ans a eu gain de cause face à son employeur, France Télévisions. La Cour d’Appel de Paris a condamné le service public français à verser 206.000 euros de dommages et intérêts pour abus de CDD.

Un élastique plié. (Photo: las - initially/ Septembre 2010/ Flickr-CC)
Un élastique plié. (Photo: las - initially/ Septembre 2010/ Flickr-CC)

Flexible, tu seras

Autre forme de précarité, les journalistes-pigistes sont ballottés d'un poste à un autre, d'une rédaction à une autre, d'un média à un autre.

"On t'appelle la veille en catastrophe pour te demander d'aller travailler à Mons, Namur ou Liège. En un mois, il m'est arrivé d'aller dans toutes les rédactions de la RTBF, c'est très déstabilisant et très inconfortable. Cela veut dire que sur le long terme, on ne sait rien construire. On est sans cesse baladé d'une région à une autre."

Même en termes de salaires ou d'horaires, tous les journalistes ne sont pas sur le même pied d'égalité. A Arlon par exemple, les journalistes-pigistes comme les techniciens sont moins bien payés (30 € la pige contre 100/300 € en moyenne) que les autres pigistes de la RTBF. Sans compter le manque d'effectifs.

A Liège, cela fait trois ans que la rédaction réclame du personnel supplémentaire. Sans succès. Michel Gretry, journaliste et délégué syndical CGSP:

"On n'a jamais eu autant de programmes d'information, mais jamais eu aussi peu de journalistes pour les faire. On est dans des difficultés de plus en plus grandes parce que les journalistes qui partent ne sont pas remplacés. Tous les cris d'alarme qu'on peut envoyer, ils ne sont pas entendus.

La seule réponse de la rédaction que nous avons: "quand on ne peut pas tout faire, on ne peut pas tout faire." Donc on doit arrêter de suivre certains sujets comme les conseils communaux et on fait appel à des correspondants de la presse écrite pour une petite brève. On laisse tomber la vie démocratique des villes moyennes."

Un personnel sous-employé

Avec un recours de plus en plus récurrent à l'externalisation, la RTBF tendance à sous-employer son personnel

Autre reflet de cette politique des ressources humaines au sein du service public, la présence de plus en plus massive de jeunes au JT. Un journaliste de la rédaction:

"Il suffit de regarder le JT, on voit clairement qu'il y a un souci en ressources humaines. Il n'y a plus grand monde qui a au-dessus de 35 ans. C'est assez ahurissant, ce n'est pas ce qu'on attend d'une rédaction. C'est le reflet d'un manque d'expérience, d'un manque de contact parce que ce sont des journalistes qui débutent. Il y a un gros fossé en télévision.

En télé, les rythmes sont difficiles et les difficultés techniques sont de plus en plus nombreuses, avec des systèmes techniques qui foirent. Tout cela explique que des gens partent. L'un des piliers de la cellule société, Benjamin Adnet a quitté la rédaction alors qu'il avait encore plein de choses à faire chez nous. C'est anomal et même malsain qu'une personne de son talent parte. Il y a des départs qui font tache, et on peut se poser des questions."

A cela s'ajoute le recours de plus en plus récurrent à l'externalisation. Avec pour conséquence cette tendance à sous-employer son personnel. Depuis quelques temps, les journalistes constatent un accroissement du phénomène. Michel Gretry dénonce cette externalisation plus intensive ces dernières années :

"Plein de choses se font à l'extérieur alors qu'elles pourraient se faire en interne dans la maison. On réalise The Voice à Liège, mais il y a très peu de personnel de la RTBF qui travaille pour cette émission. Le problème, c'est qu'on n'arrive pas à avoir les chiffres parce qu'il y a des clauses de confidentialité dans nos accords avec Endemol. Si on ne surveille pas les budgets, les achats de concepts risquent de prendre le pas sur les productions propres."

Une pétition et peu de résultats

En 2009, une pétition circulait dans la rédaction pour tirer la sonnette d'alarme. En cause, le suicide d’un technicien. Sans compter qu'à cela s'ajoutait de nouveaux départs non-remplacés au sein de la rédaction.

"Une grosse partie de ce qui retrouve dans cette bouteille à la mer se retrouvait dans le communiqué que nous avons publié à la suite de ce drame. On a eu le réflexe de se réunir: ce n'était plus possible d'augmenter la pression, avec le stress de faire des conneries et de dire des erreurs à l'antenne parce qu'on doit faire deux-trois sujets et qu'on n'a pas toujours le temps de vérifier parce qu'on doit faire vite.

Il y a eu la mise en place d'un call-center externe mais cela n'a pas fonctionné. Par contre, les médecins du travail continuent de s'inquiéter de nos conditions de travail vu les cas de burn-out en constante augmentation."

"Tous ces efforts, c'est pour éviter les licenciements"

Un contrat par jour, c'est un C4 tous les jours. Administrativement, c'est l'enfer, et pour être payé, il faut tout vérifier.

Du côté du service public, Bruno Deblander, responsable de la communication et porte-parole RTBF, comprend le malaise des journalistes.

"Je ne connais aucun groupe de médias en Belgique francophone qui ne rencontrent pas de difficultés, je ne connais aucun journaliste qui ne rencontre pas cette pression. Il faut entendre cette préoccupation, dans la mesure où elle est fondée.

C'est vrai qu'aujourd'hui, à la RTBF, on a demandé aux journalistes des efforts qui sont tout simplement le résultat des économies qui nous ont été imposées en 2003, 2009 et aujourd'hui, avec ce contrat de gestion, nous allons continuer d'être sous pression. Mais les efforts que nous faisons nous permettent d'éviter les licenciements."

Quant aux contrats des pigistes, la situation serait due à un "turn over" trop important à la rédaction. En plus de ses 280 journalistes, la RTBF fait appel à une quarantaine de pigistes environ. Toujours selon Bruno Deblander, les journalistes sont sous contrat de pigistes dans le cadre de remplacement spécifique (congés de maladie, mission….) de journalistes contractuels.

"C'est faux. Parfois c'est pour un remplacement, mais la plupart des contrats, ce sont des contrats journaliers, sans motif, sans mission. Un contrat par jour, c'est un C4 tous les jours. Administrativement, c'est l'enfer, et pour être payé, il faut tout vérifier."

Nous aurions pu prolonger longtemps cet article, tant les griefs des journalistes, pigistes ou non, sont nombreux vis-à-vis de la RTBF. Une chose est certaine:

Tous les journalistes que nous avons interrogés sont des défenseurs acharnés du service public. Être journaliste à la RTBF, c'était leur rêve. Passionnés par leur métier, ils veulent défendre une information de qualité, là où on privilégie trop souvent les réductions des effectifs, les contrats précaires ou l'externalisation.

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