La jeunesse grecque: l'exil d'une génération à défaut d'espoir

Pierre Jassogne
Quartier de Monastiraki, Athènes, Grèce. (Photo: Jose Téllez, août 2009/flickr)
Quartier de Monastiraki, Athènes, Grèce. (Photo: Jose Téllez, août 2009/flickr)

Le quartier de Monastiraki, c'est l'un des endroits les plus fréquentés à Athènes. Sur la place, à la sortie du métro, les jeunes se donnent rendez-vous dans ce quartier très touristique. Si l'on n'y prêtait pas attention d'ailleurs, on ne pourrait pas croire que le pays est touché par la crise. Pourtant, derrière un décor de carte postale, l'austérité est bien là, le chômage aussi.

Quartier de Monastiraki, Athènes, Grèce. (Photo: Jose Téllez, août 2009/flickr)
Quartier de Monastiraki, Athènes, Grèce. (Photo: Jose Téllez, août 2009/flickr)

C'est le cas pour Michail, 24 ans. Il passe son temps avec ses amis sur cette place, le temps de discuter, de fumer une cigarette ou de penser à l'avenir. Comme de nombreux jeunes, Michail est sans emploi et vit toujours chez ses parents. Il gagne un peu d'argent, pas plus de 300 € par mois pour des cours de grec et de latin qu'il donne par-ci, par-là. "Je ne suis pas certain de pouvoir enseigner un jour vu qu'on n'engage pas d'enseignant en Grèce pour le moment, on s'en débarrasse au contraire". Face à toutes ces difficultés, Michail économise pour partir à l'étranger trouver un emploi. Destination: l'Angleterre.

"Il n'y a plus d'espoir pour nous dans ce pays. On a beau chercher un emploi, il n'y en a plus. Quand on en a un, c'est un travail de saisonnier ou de garçon de café où l'on passe des heures au boulot pour presque rien. Il y a beaucoup d'abus aussi de la part des patrons.

Puis, c'est difficile pour mes parents de m'aider comme je suis au chômage. Ils ont eu déjà beaucoup de mal pour me financer mes études, je n'ai pas envie de vivre à leur frais. Donc il faut partir, tout quitter et recommencer une nouvelle vie. Pour moi, l'Angleterre, c'est la seule perspective d'avenir qu'il me reste actuellement."

Michail est loin d'être le seul dans le cas. Depuis 2008, plus de 50 000 jeunes ont quitté le pays.

La solution, c'est de partir

Dans quelques semaines, Kostas, 29 ans, partira lui aussi à l'étranger. Pour lui, ce sera aux Pays-Bas où il espère évidemment trouver un emploi. Il est ingénieur agronome, et n'a rien trouvé dans son domaine depuis sa sortie de l'université il y a deux ans :

"Je ne crois pas que je trouverai un emploi un jour ici en Grèce. La seule solution, c'est de partir. On ne sait plus rester. Ce n'est pas un choix facile de laisser toute une partie de sa vie de côté, sa famille, ses amis. Depuis quatre ans, je suis saisonnier chaque été. Cela me permet de mettre de l'argent de côté. J'essaie aussi de dépenser le moins possible car tout a augmenté en Grèce. Par exemple, un café coûte 4,5 €, c'est hors de prix pour moi."

Cela fait plusieurs années que Kostas se prépare pour ce départ. Il joue aussi dans un groupe de musique et le soir, il fait des concerts avec des amis pour gagner un peu d'argent en faisant la tournée des cafés et des restaurants du quartier d'Exarchia. C'est d'ailleurs de là que sont parties les émeutes en décembre 2008, suite au meurtre d'un jeune par un policier.

"On est obligé de se débrouiller pour gagner un peu d'argent, quitte à passer des heures dans la rue pour gagner quelques euros. C'est aussi un moyen pour avoir un peu de nourriture dans les restaurants, sans rien payer. C'est peut-être étonnant mais avec la crise, les Grecs sont devenus plus solidaires entre-eux."

Un tag sur le store d'un magasin du quartier de Monastiraki, Athènes. (Photo: Pierre Jassogne, août 2012)
Un tag sur le store d'un magasin du quartier de Monastiraki, Athènes. (Photo: Pierre Jassogne, août 2012)

Maria vit, elle aussi, dans ce quartier. Elle a 25 ans et vient de quitter l’École Polytechnique qui se trouve à Exarchia. Mais comme la plupart des jeunes de son âge, et malgré son diplôme universitaire, elle est sans emploi.

"Pour vivre, ce sont mes parents qui m'aident car je ne reçois aucune aide. Ils ont beaucoup de courage car ils n'ont pas des salaires élevés. Mais dans chaque famille, c'est la même situation, plusieurs membres sont sans emploi. Il n'y a plus d'espoir, ni d'avenir pour les jeunes. On est une génération perdue."

Maria ne veut pas partir à l'étranger pour trouver un emploi. Dans quelques semaines, elle partira travailler dans un village à la campagne dans le nord du pays. Depuis le début de la crise, ils sont près de 1,5 million à partir comme elle vers la campagne afin d'y trouver un emploi et travailler la terre.

"J'ai beaucoup d'amis qui sont partis à l'étranger pour trouver un boulot, mais j'aime trop mon pays que pour le quitter. J'ai donc décidé de travailler dans l'agriculture. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour gagner un salaire. Vous savez, on prendrait tout et n'importe quoi pour travailler, même si c'est souvent pas très bien payé."

 "On vit comme dans un pays en guerre"

Certains quartiers d'Athènes sont devenus la proie des revendeurs de drogue: on voit des jeunes zombies avec des jambes gonflées à force de s'injecter des aiguilles sales.

Rester pauvre ou partir, c'est le dilemme des jeunes Grecs. « Les travailleurs grecs ont perdu 50 % de leur salaire et les premières victimes de cette crise, ce sont les jeunes qui sont au chômage », explique Giorgis, 31 ans. Il est policier municipal et gagne à peine 600 € par mois. Il risque de perdre son emploi à cause des coupes budgétaires annoncées dans tous les secteurs publics.

"On vit comme dans un pays en guerre. La situation est devenue horrible : le chômage explose, tout le monde est désespéré parce que c'est impossible de trouver un emploi, parce que les services publics s'effondrent les uns après les autres par les mesures d'austérité. Il n'y a plus d'argent dans les hôpitaux, dans les écoles et on brade nos salaires. On n'a aucune garantie pour l'avenir car l’État ne sait plus comment nous payer."

Un constat que partage Stathis, 32 ans, enseignant en informatique. Actuellement, il a perdu son emploi et ne sait pas s'il pourra continuer à enseigner.

"Dès qu'on n'a plus d'emploi en Grèce, on vit dans l'insécurité permanente car il faut payer son loyer, ses factures, tout ce qui permet de vivre au fond. Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'allocations pour couvrir ses besoins essentiels. On reçoit 360 €, mais cela ne dure que six mois. Aujourd'hui, il y a 1,5 million de chômeurs dans le pays et les mesures d'austérité prises par le gouvernement, l'Europe et le FMI n'aident vraiment pas. Au contraire, la dette augmente, le chômage aussi, et c'est la récession.

C'est un cercle vicieux : les salaires ont diminué alors que les prix augmentent. Moi-même, comme professeur, j'ai vu mon salaire diminuer de 1.000 à 700 €. C'est très dur pour vivre, même quand on a un salaire. Le salaire minimum en Grèce est de 400 € alors qu'un appartement coûte environ 300 € par mois. On ne peut plus vivre dans une telle situation, on survit."

Comme d'autres, Stathis hésite à partir à l'étranger.

"Beaucoup de mes amis sont déjà partis en France, en Allemagne ou en Angleterre où ils ont trouvé un emploi. Si c'est nécessaire, si je n'ai plus d'emploi, je n'hésiterai pas à partir. J'ai 32 ans, mais je veux vivre mes rêves, et en Grèce, il n'y a rien

Et à côté des problèmes d'emploi, il y a de plus en plus de jeunes qui tombent dans la drogue ou basculent dans la criminalité. Certains quartiers d'Athènes sont devenus la proie des revendeurs de drogue: on voit des jeunes zombies avec des jambes gonflées à force de s'injecter des aiguilles sales. D'autres quartiers sont devenus des ghettos de criminalité où les premières victimes sont les immigrés et les SDF. On ne sait vraiment pas où toute cette crise va nous mener."

Dans le champ de bataille

Deux hommes devant un tag "Where is my drahma" dans le quartier de Monastiraki, Athènes. (Photo: Pierre Jassogne, août 2009)
Deux hommes devant un tag "Where is my drahma" dans le quartier de Monastiraki, Athènes. (Photo: Pierre Jassogne, août 2009)

Un haut fonctionnaire à Athènes nous explique d'ailleurs que la situation n'est pas prêt de s'améliorer en Grèce. Il dit qu'il est dans son ministère "dans le champ de bataille" car il est aux premières loges pour assister aux décisions qui vont être prises, aux difficultés qui vont toucher la population dans les prochains mois, et les jeunes en particulier. Face à cela, il se dit "désemparé" parce qu'il doit suivre les ordres qui viennent de Bruxelles.

"On ne veut pas donner aux jeunes Grecs les moyens de s'en sortir. Les salaires diminuent, la consommation diminue, la production aussi. Du coup, les magasins ferment, le chômage augmente. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: entre 2011 et 2012, la Grèce a eu une diminution de son PIB de 12 %, et l'année n'est pas encore finie. La seule approche de l'Union européenne a été jusqu'ici celle du budget, on ne fait que du chiffre sans aucune perspective sociale et personne ne voit rien.

C'est important de ne pas faire de déficit, évidemment, mais pour le moment, la Grèce est rentrée dans une guerre, sans voir le sang. Les victimes, ce sont les travailleurs, les jeunes, les retraités, on est en train de tous les sacrifier sur l'autel de l'austérité. Même moi, avec mon salaire, je ne m'en sors pas, alors comment font les autres?"

Les prochains mois vont amener un nouveau lot de mesures d'austérité en Grèce. Avec des coupes budgétaires qui ne favoriseront pas la reprise. Pour les jeunes Grecs, cette "génération perdue", le chômage fera plus que jamais partie de leur quotidien. Face à l'austérité, ils veulent tous se battre, chacun à leur manière, trouver des solutions pour leur avenir personnel et celui de leur pays, même si cela doit se faire à l'étranger, loin de leur famille et de leurs amis.

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