Comment j’ai acheté cinq grammes de cannabis à Maastricht

Diederick Legrain
(Photo Wikipedia)
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Imaginez un parking souterrain moderne, bien éclairé, spacieux, agréable, aux portes de cette gigantesque galerie commerciale qu’est devenue Maastricht. Des milliers de visiteurs l’empruntent chaque jour: des fashionistas, des familles, des adeptes du shopping. C’est là, au milieu des clients les bras chargés de paquets, qu’Axel tient désormais son «petit commerce»: de la vente de cannabis à la sauvette, en toute impunité.

Depuis l’introduction du «wietpas» (passeport herbe) dans le sud des Pays-Bas, qui restreint la vente de cannabis aux résidents hollandais dûment enregistrés, le commerce de l’herbe s’est déplacé à Maastricht des coffee shops vers la rue à une vitesse sidérante. Il suffit d’arpenter le quartier des quais pour se faire aborder tous les vingt mètres par des vendeurs étonnamment peu discrets. Axel est l’un de ces innombrables petits vendeurs qui profitent de cette prohibition nouveau genre. La trentaine, portant chemise et pantalon au pli impeccable, il fait l’effet d’un vendeur d’auto, à part qu’il tutoie son interlocuteur dans un français parfait: «Tu cherches quelque chose, je peux t’aider?» Je lui invente une petite histoire: je suis embêté, parce que je ne peux pas entrer dans les coffee shops. Contre toute attente, il me demande… où j’habite. «A Namur, mais pourquoi tu me demandes ça?» - «Ah Namur, capitale de la Wallonie… Très belle ville!» répond-il dans un sourire éclatant. J’ai presque envie de retourner chez moi: ce type ferait un malheur dans le tourisme. Mais il a choisi le commerce du cannabis, où d’intéressants débouchés s’offrent à lui dans le coin.

Deal à côté des landaus

On estime à 1,4 million le nombre de touristes de la drogue à Maastricht et à 3 millions le nombre total de clients de coffee shops avant l’introduction de la wietpas

On estime à 1,4 million le nombre de touristes de la drogue à Maastricht et à 3 millions le nombre total de clients de coffee shops avant l’introduction de la wietpas. Forcément, il y a un marché à prendre. Axel l’a bien compris, et pour l’instant il voudrait bien voir ma carte d’identité, comme ça, de loin, sans la toucher. «Pour être sûr que tu es vraiment belge, tu comprends?» Je montre ma carte, de loin, sans qu’il la touche. Il est rassuré. Et comment je peux savoir s’il n’est pas policier, moi ? Il me montre ce qui ressemble à une carte d’identité marocaine. «Avec ça, tu te doutes que je ne suis pas policier hollandais !» Il embraie: «J’ai de l’herbe, à 10 euros le gramme.» Je proteste pour la forme: c’est cher, non? «Tu as entendu parler des cours de la Bourse? Ça monte, ça descend, l’herbe c’est pareil, maintenant c’est 10 euros.» Le tout dit sans cesser de sourire. Je marque mon accord, le prix est curieusement moins élevé que dans les coffee shops où pourtant la vente est licite, ce qui le met au même niveau que le gramme d’herbe vendu en rue à Bruxelles. «Montre la marchandise», je lui fais. Il n’en a pas sur lui, mais bien dans son auto, explique-t-il. Il m’emmène de l’autre côté de la rue, vers le parking du Mosae Forum.

Nous descendons l’escalator tranquillement, juste derrière un couple qui a dû faire chauffer la carte de crédit si j’en juge par les imposants sacs de fringues qu’il trimballe. Sa petite voiture est garée à proximité de l’escalator, pas dans le coin sombre et inquiétant du parking, non, au milieu des passants, au vu et au su de tout le monde. Il ouvre la portière passager, une forte odeur de cannabis s’élève, il ouvre la boîte à gants et sort un Tupperware rempli d’herbe. Il en prélève un bourgeon au jugé, l’emballe dans du film alimentaire et me le tend. Ahuri, je lui demande comment il connaît le poids de sa marchandise. «J’ai l’habitude.» Je regarde autour de moi, je suis accroupi à côté de la voiture, la scène déjoue tous mes préjugés sur le deal de rue, je m’attends presque à une caméra cachée pour la télé, mais non, tout semble normal, une maman me frôle avec son landau, tout va bien. Je m’amuse à négocier le prix, il ajoute une pincée d’herbe («t’es un malin, toi!»), je paie, on remonte, on papote en chemin, les meilleurs amis du monde. Le mec est détendu, je lui demande si ça fait longtemps qu’il vend. «Je viens de commencer, en fait. Si tu as des amis qui veulent acheter, dis-leur de m’appeler, parce que je ne suis pas là tous les jours, j’ai un autre boulot». Là-dessus, il entre d’un pas décidé dans une supérette, saisit d’autorité le bic d’une caissière («je te le ramène!»), ressort et griffonne son numéro en grand sur mon avant-bras. Marketing direct: c’est sûr, le gars a été commercial dans une autre vie. On ne se fait pas la bise en se quittant mais c’est tout comme.

Je me dirige vers la place du marché. Cent mètres plus loin, une sexagénaire aux allures de hippie attardée m’aborde: «Salut, je peux t’aider à trouver quelque chose?» Incroyable. Merci madame, j’ai déjà trouvé. Elle s’éloigne et recommence son manège auprès d’une jeune femme à lunettes qui refuse itou. Si même les mamies s’y mettent, la concurrence sera rude pour Axel!

386 arrestations

le risque d’une vente à des mineurs, qui était nul dans les coffee shops, est réel en rue

L’amateurisme d’Axel et de la hippie sont plutôt atypiques dans le business à Maastricht. Sur les quais, les vendeurs opèrent par bande de deux ou trois, avec une division du travail plus élaborée: un premier aborde le chaland, prend la commande, puis appelle un «associé» qui rapplique à scooter avec la marchandise. Leur petite provision est gardée par un troisième larron qui tourne en voiture. Il ne faut pas être criminologue pour savoir cela, il suffit de se promener vingt minutes dans le quartier en gardant les yeux ouverts. D’où la question évidente que l’on peut se poser: que fait la police?

Vingt-quatre policiers supplémentaires ont été affectés à la province du Limbourg. Entre mai et début juillet, 386 arrestations avaient eu lieu. Néanmoins une enquête «quickscan» de la Fondation Epicurus estime que le dispositif policier actuel est insuffisant pour faire face au problème. En outre, le risque d’une vente à des mineurs, qui était nul dans les coffee shops puisque l’on devait présenter sa carte d’identité, est réel en rue, puisque les vendeurs illégaux ne demandent pas la carte de leurs clients. A part mon «ami» Axel, bien sûr… De plus, les vendeurs de rue proposent aussi des drogues dures, ce qu’on ne trouvait évidemment pas dans les coffee shops.

Le nombre de plaintes liées à la drogue rapportées par des citoyens a explosé, passant de 160 en moyenne par mois à plus de 600. Une serveuse d’un café des quais est fataliste: «Ils sont fort présents (les dealers de rue), mais ne sont pas agressifs. On les accepte parce qu’ils nous rendent aussi service en tant que consommateurs. Je n’ai aucun ami qui se soit fait enregistrer pour avoir sa wietpas car on ne sait pas ce qui sera fait de nos données personnelles, alors on se débrouille, quitte à acheter n’importe quoi à des inconnus en rue et encourager le deal. Mais je peux vous dire que nous sommes nombreux à faire pousser de l’herbe sur nos balcons et dans nos jardins, et que bientôt on s’achètera ce qu’il faut aux uns et aux autres.» Ou comment le wietpas transforme tout consommateur en producteur et dealer en puissance…

Maasmechelen: deal multiplié par cinq

Une trentaine de coffee shops ont fermé dans la région de Maastricht

Le wietpas produirait aussi des effets sur l’économie. Une trentaine de coffee shops ont fermé dans la région de Maastricht, par protestation ou par décision de police; il n’en reste plus que deux ouverts en ville. D’après l’association des propriétaires de coffee shops, 600 personnes auraient perdu leur emploi depuis le 1er mai. Ce n’est pas tout: le commerce pourrait pâtir de la disparition des coffee shops. La généralisation du wietpas à l’ensemble des Pays-Bas, programmée au 1er janvier 2013, fait frémir le secteur Horeca à Amsterdam, qui estime à 25% des six millions de touristes étrangers annuels, ceux qui viennent pour le cannabis. A Maastricht, les propriétaires de cafés ont d’ores et déjà noté une baisse de leur fréquentation (jusqu’à 50% estime un des cafetiers interviewés), même si certains l’imputent à la crise. En toute logique, les dizaines de «smart shops», qui tirent leur existence de la réputation «cannabique» de Maastricht (vente de produits dérivés, du papier cigarette à la pipe à eau), accusent le coup également. «D’habitude, on fait la file jusque sur le trottoir», se plaint un gérant qui a eu l’idée d’agrandir son rayon de sex toys «pour compenser». On frémit à la pensée que Maastricht devienne un jour la capitale régionale du gode!

Au cours de ma visite dans un smart shop, je croise un jeune Belge qui vient acheter de petits sachets fermables par centaines. Il jubile: dans sa région, à Maasmechelen, il vend cinq fois plus depuis le changement de politique en Hollande. Bien que cette donnée n’ait été confirmée par aucune autorité belge (à Liège non plus, on n’a noté aucune augmentation du trafic), il est évident que le déplacement jusque Maastricht a perdu tout son intérêt pour le consommateur belge depuis que le choix (ou plutôt l’absence de choix) et le prix des produits sont similaires des deux côtés de la frontière.

Il est prévu que le système du wietpas soit étendu à tout le territoire hollandais dès le 1er janvier 2013. Les dealers belges se frottent les mains.

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