Tremblement de terre en Haïti: les 20 millions d'euros d'aide humanitaire belge arrivés à bon Port?

Olivier Bailly
Une jeune fille porte un réservoir d'eau sur sa tête dans campement, Port-au-Prince (Photo: Unicef Canada/ Juillet 2010/ Flickr-CC)
Une jeune fille porte un réservoir d'eau sur sa tête dans campement, Port-au-Prince (Photo: Unicef Canada/ Juillet 2010/ Flickr-CC)
Un village de tentes au milieu de ruines causées par le tremblement de terre, Haïti (Photo: United Nations Development Programme/ Janvier 2010/ Flickr-CC)
Un village de tentes au milieu de ruines causées par le tremblement de terre, Haïti (Photo: United Nations Development Programme/ Janvier 2010/ Flickr-CC)

Trois mois plus tard, le secrétaire d’Etat à la Coopération au développement de l’époque (Charles Michel) annonce lors de la conférence des donateurs à l'ONU une contribution belge de 20 millions d’euros, portant sur trois ans. A la même époque, du côté des ONG, les appels aux dons se multiplient: les urgentistes annoncent l’envoi rapide de l’aide de première ligne. MSF, Croix Rouge et le Consortium 1212 sont aux premières loges.

20,5 millions d’euros sont ainsi récoltés par le Consortium 1212 auprès des citoyens belges. Pour rappel, ce consortium rassemble cinq associations importantes, toutes faisant part d’un réseau international: Handicap International, Médecins du Monde, Unicef, Caritas et Oxfam Solidarité. L’idée étant, en cas d’urgence, de pouvoir organiser une récolte de fonds conjointe, plus efficace, plus lisible. En 2005, il avait récolté 45 millions d’euros en quelques semaines, suite au tsunami qui avait frappé l’Asie du Sud-Est. 

Mais lorsqu’on observe le cas Haïti, certaines décisions et communications des associations du Consortium 1212 posent question. 

Du flou dans la communication

Au moment de l’appel aux dons, les ONG du Consortium insistent sur le fait qu’elles sont "présentes depuis longtemps en Haïti". L’argument d’une connaissance "depuis de longues années" du terrain d’intervention rassure le donateur. Mais c’est à la fois vrai et faux.

C’est vrai parce qu’en 2009, le réseau international de ces ONG est sur place. C’est faux car en lisant les rapports annuels belges, on note qu'aucune des antennes belges de ces associations n’est présente en Haïti. A l’exception d’Oxfam Solidarité.

L’ONG Médecins du Monde annoncera ainsi en l’espace de quelques mois qu’elle "agit depuis plus de 20 ans en Haïti" et qu’elle y est "présente depuis mars 2010". Schizophrénie bienvenue, détail de l’urgence? A chacun de juger. Erik Todts, coordinateur du Consortium 1212:

J’étais en Haïti après le séisme et j’ai passé trois quatre jours avec les Médecins du Monde belges, italiens, espagnols et français. Leur expérience passée a fortement aidé et les procédures entre eux pré-existaient. Leur savoir-faire partagé a été efficace pour la mise en place. Par ailleurs, chaque réseau travaille de manière différente. Peu importe le type d’opérateur, il faut que l’argent soit utilisé de manière optimale. C’est l’efficacité qui compte. Sur la communication, de fait, on va travailler sur un système plus clair.

Ce qui est certain, c’est qu’alors que la présence mentionnée est celle du réseau international, une partie importante de l’aide sera gérée à partir de la Belgique. Cette confusion entre réseaux est regrettable.

Une urgence qui prend son temps

L'argument de l’urgence nécessaire du don peut paraître trompeur, plus médiatique qu’autre chose

Dès le janvier 2010, le Consortium annonce la couleur: "Les opérations sur le terrain ont déjà commencé", "L’argent récolté sera transféré le plus rapidement possible aux organisations du Consortium pour financer leurs activités en Haïti", "Les ONG membres du Consortium […] sont intervenues immédiatement pour secourir les victimes du tremblement de terre. Elles agissent dans l’approvisionnement en eau, l’aide médicale, la nutrition, la prise en charge et la protection des victimes".

Dans cette communication de crise, le Consortium appelle au soutien des médias et des autorités "pour contribuer de manière importante à la survie de la population haïtienne et à la reconstruction du pays". Tout porte à croire qu’un fil, un flux tendu se déroule entre le don et l’aide humanitaire: l’un alimentant directement l’autre. Et le public est invité à ne pas laisser le fil se casser.

En 2011, un an plus tard, le Consortium annonce que:

Au cours de l’année écoulée, une partie conséquente du montant total récolté par l’action HAITI LAVI 12-12 a été consacrée à l’urgence. Le montant restant suffira pour couvrir les frais de deux années de reconstruction.

Mais cette partie conséquente ne l’est pas tant que cela. Fin 2010, hormis Unicef qui transfère directement l’argent à Port-au-Prince via New-York, les ONG devaient encore allouer entre 47 et 81% des sommes récoltées. C’est sans doute mieux ainsi: la capacité d’absorption d’aides, même dans l’urgence, n’est pas infinie. Et participer à la reconstruction donne une utilisation plus durable aux deniers récoltés.

Reste que l’urgence de la récolte peut paraître trompeuse, plus médiatique qu’autre chose. La pratique n’est pas propre au Consortium, mais ne peut-on cependant pas attendre plus de clarté de la part de membre de l’AERF (Association pour une Ethique dans les Récoltes de Fonds)? Elles se sont pourtant engagées à "ne pas introduire dans leurs demandes de soutiens financiers, des informations contenant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur".

Parler d’urgence pour financer la reconstruction, évoquer le réseau international qui ne reçoit pas la majorité des dons, est-ce "induire en erreur"?

Une jeune fille porte un réservoir d'eau sur sa tête dans campement, Port-au-Prince (Photo: Unicef Canada/ Juillet 2010/ Flickr-CC)
Une jeune fille porte un réservoir d'eau sur sa tête dans campement, Port-au-Prince (Photo: Unicef Canada/ Juillet 2010/ Flickr-CC)

Une transparence opaque

Dans la masse des chiffres du rapport final '1212', difficile de dire précisément à quoi ont servi les dons

Afin de témoigner de la transparence de l’utilisation de l’argent, Le Consortium et les ONG ne se privent pas de publier fréquemment des rapports sur leurs actions. Cependant, la confusion entre interventions internationales et nationales se poursuit au moment des bilans. Certains résultats sont consolidés sur la totalité du réseau et prêtent à confusion.

Dans le rapport final du Consortium d’avril 2012, les comptes rendus se révèlent très variables. Tandis qu’Unicef abreuve le lecteur de chiffres globaux sur l’enfance, Handicap International précise les sommes belges allouées aux projets internationaux. De son côté, Médecins du Monde annonce que "en deux ans, c'est plus de 800.000 actes médicaux et consultations qui ont été assurés par Médecins du Monde". Un ratio euro/acte impressionnant, quand on sait que cette ONG a reçu 700.000 euros du Consortium 1212.

Dans cette masse, difficile de déterminer précisément à quoi ont servi les dons 1212. L’autre question est celle des frais indirects retenus sur les dons récoltés? Il y en a quatre possibles: les frais retenus par le Consortium, par la structure nationale, par la structure internationale et enfin les frais directs par la structure locale à Haïti.

Au niveau du consortium 1212, la transparence est relativement aisée puisqu’il s’agit d’une caisse collective. Seuls sont retenus les coûts directs de récolte de fonds, répartis entre les différentes ONG en fonction de leurs engagements. Pour Haïti, sur 20,5 millions d’euros récoltés, ces frais s’élèvent à un peu moins de 380 000 euros. Soit 1,84 % de dépenses, c’est très peu. Erik Todts du Consortium 1212 détaille:

Ce coût correspond à la communication 1212, à la gestion de la comptabilité pendant quelques mois, à l’engagement d’intérimaires pour l’accueil téléphonique, à la coordination de l’opération, et à l’envoi des attestations fiscales.

Cependant, une fois que chaque ONG a reçu son dû, elle doit en retirer ses coûts administratifs indirects (chauffage, électricité, loyer, etc.) et de management. Le tout pour un montant globalisé de 1,68 millions d’euros. Soit 8,33% des fonds récoltés. Mais concernant la structure internationale, il n’y a pas de double imposition. Erik Todts:

Il ne peut pas y avoir de deuxième prélèvement au niveau international.Et nous avons fait l’engagement par rapport au fisc belge qu’on ne dépassera pas les 20% de frais administratifs, indépendamment du fait qu’il y ait sous-traitance ou non.

Oxfam Solidarité mentionne des charges intégrant directement celles d’Oxfam Grande Bretagne. Pour Caritas, une fois la cotisation payée au réseau - 60.000 euros - plus rien n’est ponctionné, que l’action soit mise en place par l’ONG belge ou par son réseau international. Chez Handicap International, l’action étant uniquement partie de Belgique, le réseau n’est donc pas intervenu.

Enfin, du côté de Médecins du Monde France, qui a reçu 200.000 euros de Médecins du Monde Belgique, le directeur financier Thierry Barthelemy précise:

On ne reprend pas de frais de coordination sur cet argent. Nous sommes contrôlés tous les ans par le cabinet Deloitte spécifiquement pour ces flux d’argent dans le réseau.

Pour Oxfam Solidarité, Caritas, Médecins du Monde et Handicap international, leurs coûts de gestion ont varié entre 2,97% (Caritas) et 9,15% (Handicap international). Cette différence s’explique notamment par l’opérationnalisation des actions à partir de la Belgique (ou non). Et l'Unicef?

Promotion des règles d'hygiène par Oxfam dans une école, Haïti (Photo: Oxfam international/ Février 2012/ Flickr-CC)
Promotion des règles d'hygiène par Oxfam dans une école, Haïti (Photo: Oxfam international/ Février 2012/ Flickr-CC)

Dans le cadre du consortium 1212, Unicef a un profil particulier à plus d’un titre. Lequel? La deuxième partie de cette enquête, publiée ce jeudi 28 mars, vous permettra de le découvrir.

Pour poursuivre cette enquête, nous vous conseillons la diffusion ce mercredi 27 mars à 21h50 sur la RTBF du documentaire : "Assistance Mortelle" proposant de revenir sur "l'échec de l'aide humanitaire en Haïti"

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